mercredi 4 août 2010

Quand le porno bande mou, par Vincent Martin (publié dans Brain Magazine)

Il y a trente ans sortait sur les écrans le film Exhibitions. Ce long métrage sexy offrait son premier rôle à une star nationale, Brigitte Lahaie. Aujourd’hui, l’anniversaire est triste : le cinéma porno, élégant et soigné des années 70, a disparu face à la déferlante du sexe à volonté.


Une descente de police dans une maison close. Brigitte Lahaie, tenancière de l’endroit, doit fermer la boutique. Les clients, pantalons aux chevilles, sont jetés à la rue. Les filles, porte-jarretelles en berne, sont priées de pointer chez la mère Assedic. « Que vais-je devenir ? » demande alors la belle Brigitte. Réponse du commissaire : « T’as qu’à ouvrir une école, ils manquent de monde à l’Education nationale ». L’ancienne maison de joie bourgeoisement décorée devient alors la pension Mimosa. Une pension de jeunes filles où l’on n’enseigne pas le courage des Poilus mais les mille et un gestes sur les régions poilues. Travaux pratiques osés et cours de fellation, stages de kâma sûtra et techniques solitaires, tableau noir à l’appui et heures de colle en sus. Les jeunes élèves bachotent et décrochent leur diplôme après avoir passé des examens obscènes. Pour célébrer la fin de cette année scolaire, parents et fiancés sont conviés à la fête donnée au mois de juin, bien loin des tombolas des écoles de quartier. Pour mesurer la science de ces jeunes étudiantes, plongez-vous dans le film Les Petites Ecolières, un chef-d’œuvre du genre tourné en 80, sorti chez Alpha France. Brigitte Lahaie signe avec classe son dernier rôle cochon. Depuis les Ecolières, rien n’est plus comme avant. Des films formatés assouvissent la demande d’un public insatiable porté sur la longueur et les bonus de fin plutôt que sur l’ambiance et les travellings habiles. Dans son peignoir de soie, l’amateur de belles œuvres pleure cet âge d’or du X.


Rembobinons. Je suis à Prendre, Parties de Chasse en Sologne ou Le Sexe qui Parle offraient des scénarii. Tantôt un savant fou aux ardeurs frénétiques fabrique une femme objet pour apaiser ses manques. Tantôt deux bons amis montent une juteuse affaire et offrent leur vigueur aux épouses délaissées. A quatre pattes, Brigitte Lahaie, Marilyn Jess, Martine Grimaud recevaient en souriant les assauts répétés d’un partenaire poli. Contre le mur, Alban Ceray, Richard Allan-dit-queue-de-béton, s’appliquaient à donner du plaisir et du soin aux actrices qu’ils fêtaient. Gérard Kikoïne, Jean-François Davy ou Frédéric Lansac montraient des femmes de chambre en petits tabliers, des maîtresses en fourrure et des hôtesses de l’air, des patrons vigoureux et des plombiers barbus qui partageaient l’amour d’un cinéma unique. En 75, les salles affichent complet et ouvrent un peu partout. Trois millions de personnes vont voir Exhibitions et deux millions deux cent regardent Les Jouisseuses. De son côté, La Masseuse Perverse soulage plus d’un million de membres ankylosés. Un nouveau genre est né, de la France à l’Allemagne jusqu’aux pays nordiques, teinté d’humour grivois, de femmes appétissantes et de rapports courtois.


Mais une innovation fait tomber l’érection, comme un mari trompé rentré plus tôt chez lui. A grands renforts d’affiches, le fabricant Philips lance le magnétoscope : le cinéma cochon s’invite chez les Martin et n’est plus réservé à quelques salles obscures des bas-fonds des grandes villes. Une grosse boîte à chaussures avec une large fente permet de prendre son pied dans son fauteuil en skaï imitation agneau. Le mateur de partouzes peut ainsi consommer autant qu’il le demande, pourvu qu’il soit aidé d’un bon vidéoclub. D’un film ou deux par mois caché sous des solaires ou une barbe en moquette, ledit M. Martin passe à dix VHS, par semaine ou par jour. Il faut alors répondre à cette subite demande d’un public aguiché. Les producteurs de X pullulent à Hollywood et fabriquent à la chaîne des films sans chaleur. Ils doivent tourner plus vite et remplir les rayons des sex-shops de Pigalle. Les jolies mises en scène peuvent aller se rhabiller.


Puis les années 2000 et leur cortège de clics enterrent une dernière fois les productions léchées. Avec Internet, les ados, les âgées, les trans, les Noires, les naines, les grosses ou les refaites s’affrontent sur des index chaque jour un peu plus vastes. Désormais les Martin mettent en scène leurs ébats sur le tapis indien rapporté du Mexique. Les gestes sont balourds et la caméra tremble. Mais le public se pâme et un genre apparaît : le gonzo. Ces films montrent à l’envi des scènes de 15 minutes dans des chambres d’Ibis. Les dialogues sont bannis pour éviter les frais de doublage à l’export. Les filles de Bulgarie regardent le plafond dans des scènes établies selon un protocole. Une fellation précède une douloureuse levrette, avant une giclée grise sur des joues pâlichonnes. L’acteur à casquette Nike renifle une dernière fois et l’actrice part en quête d’une feuille de Sopalin.


Et difficile de croire que le porno d’avant revienne sur nos écrans. Car ce porno nouveau rafle tous les succès. Un site pornographique de qualité moyenne amasse en une journée jusqu’à 15 000 dollars. Aux Etats-Unis, 30 millions d’internautes vont sur des pages cochonnes au moins une heure par jour. Des empires naissent alors grâce à ces productions qualité Leader Price, en Suède avec Private, aux States avec Vivid. Le gros chiffre d’affaires du porno d’aujourd’hui nous laisse les yeux mi-clos comme après une étreinte : 50 milliards de dollars l’an passé. Le rêve d’un porno chic aux raccords impeccables part aussi vite et loin qu’un orgasme macho.


Mais la technologie n’est pas seule responsable des violents coups de cravache portés au beau porno. La morale des églises a perdu tout son poids dans les grandes sociétés. Désormais les actrices défilent sur les plateaux et dans les hit-parades. Les producteurs d’antan, inspirés par la fesse, ménageaient la morale derrière une esthétique. Ils toisaient la critique et répondaient « art neuf ». L’esthétique est tombée, en même temps les principes des judéo-chrétiens.


Enfin, les femmes s’y mettent et le marché s’allonge. En 72, d’après le Rapport sur le Comportement Sexuel des Français du Pr. Simon, la moitié des Françaises refusent la fellation. Dix ans plus tard, les Françaises sont déflorées quatre ans plus tôt que leurs aînées. Pilule et IVG, elles achètent leurs sex-toys chez les grands couturiers et choisissent les pornos qu’elles vont voir le soir même avec leur fiancé. Le marché de la fesse passe alors d’un seul coup de trois milliards d’adeptes à six milliards d’humains répartis sur le globe. Il nous reste à souhaiter qu’une poignée d’amateurs fasse revivre le genre. Un genre abandonné au profit du profit. Comme un zizi tout mou devant ce qu’il regarde.

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