jeudi 23 décembre 2010

C'est chaud la techno ou pas, de V. Martin (Article paru dans Brain-Magazine)

Paye ta boule Quiès ! Damien Raclot-Dauliac sort Heretik System : We Had a Dream, un DVD documentaire sur le mouvement des free parties en France. Entre techno vénère, pilules chelou et coups de matraque, le film raconte le parcours des Hérétiks, un soundsystem de banlieue parisienne. Quoiii, qu'est-ce tu dis ? Je dis : “Un soundsystem de...”.


“On voulait faire une fête à la Ferté-sous-Jouarre. Y avait un point de rendez-vous et déjà quelques centaines de voitures qui attendaient. Quand on est arrivés au point de rendez-vous, les flics étaient là. Un mec monte sur une voiture et dit à tout le monde : « Suivez-nous, on va trouver un autre endroit. » On roule sur vingt bornes à travers la campagne, on fonce sur les nationales avec quatre-cents voitures derrière.” Et là ? “On défonce la porte de la décharge publique avec les camions, on rentre, on pose le son. C'est chaud la techno ou pas ?” Vidéos d'archive à l'appui, We Had a Dream raconte l'histoire des Heretiks, pilier des free parties françaises des années 1990 à 2000. Sur fond d'images d'époque, Léo, Ben, Jeannot ou KRS racontent chacun leur tour leurs virées sur l'A6, leurs week-ends en cambrousse et leurs enceintes 10 X 4 millions de Watts. Dix ans plus tard, les free parties sont interdites en France sous peine d'amendes et de confiscation du matériel. La techno, c'était mieux avant.

En 1992, l'Avon free festival rassemble des milliers de teufeurs dans la campagne anglaise, sans rien demander à personne. Au programme, trois jours de musique non-stop pour des allumés qui préfèrent danser en tatane et dans la boue plutôt qu'en mocassins sur un dance-floor chicos. Bingo, le gouvernement Thatcher rédige le Criminal Justice Bill, une loi qui interdit les raves party et promet d'enfermer les organisateurs dans la Tour de Londres. Pourquoi ? Because des champs de betterave dévastés et des fêtards plein les urgences à force de gober tout ce qui passe sous leurs piercings. Les plus acharnés sautent alors dans un ferry et s'enfuient en France. En Europe, ils inventent un nouveau genre de ré-soi, la free party, une fête clandestine et gratuite. A deux années lumière du sans-alcool-la-fête-est-plus-folle, les free parties s'improvisent dans des patelins perdus et rassemblent des centaines de technoïdes amateurs de liberté, de douche trimestrielle et de décibels à faire tomber les sourcils.

Et puis le jour de gloire eeest-ta-rri-vé ! “Il y avait les TNT dans l'Essonne, les Trouble-fête, K-Bal, Corrosive System, les UFO à Ris, les Heretiks à Paris et le 94.” Ils sont jeunes, vivent en marge et veulent faire la peau du grand capital à coups d'acouphènes et de soirées gratos. “Le nom « Heretik », ça vient d'un jeu sur PC, un sorcier qui balance des trucs. On a regardé ce que ça voulait dire dans le dictionnaire : Non soumis à la doctrine établie . On a gardé le nom.” A partir de 1996, les Heretiks enchaînent les soundsystem. Dans leurs J9 Kiloutou, ils sillonnent les routes à la recherche d'un terrain militaire ou d'un hangar à l'abandon, avant d'escalader des grilles et d'installer leurs platines. Mais déjà, les RG veillent. Les lieux des rendez-vous sont gardés secret et les teufers se repèrent grâce aux messages des organisateurs laissés sur des hotlines codées. “Les Heretiks étaient très efficaces dans l'organisation des fêtes. Une fois, ils ont eu un problème avec un groupe électrogène au Crancey, dans l'Aube. Après quelques coups de fils, ils ont réussi à faire venir un camion électrogène de Belgique et la fête a eu lieu.” Les Heretiks s'installent même dans un pavillon d'Aulnay-sous-bois en banlieue parisienne. “A l'époque, tout le monde habite ici, le matos est stocké en bas, les camions sont garés devant, les fêtes sont préparées là-bas, c'est notre base. On achetait du matos de son grâce à l'argent des fausses préventes. Et puis on vendait de la skunk, ça marchait bien aussi.” Mais ça, ça plaît middle à la police.

Entre deux mixes, le LSD, les ecstas et la coke circulent comme des Apéricubes le soir du Réveillon. Résultat, des brigades pour surveiller les free parties se radinent à chaque fête : “Notre mission, c'était faire la lumière sur les free parties, étudier pour comprendre. Qui sont-ils, que veulent-ils ? Est-ce qu'ils font du trafic de drogue ?” En 98, après quelques overdoses et un tapage nocturne entendu jusqu'à Pluton, les ministères de l'Intérieur et de la Défense pondent une circulaire qui interdit les free parties en France. Désormais, pas de fête sans autorisation du préfet sinon le matériel est confisqué. “Un jour, à 4 heures du matin, il y a eu une descente de flics avec des chiens et des lacrymos. Ils ont confisqué le matériel, tous les vinyls, notre vie quoi. Certains ont été tirés par les cheveux sur cinquante mètres.” Au fil des semaines, la répression devient plus forte et un message politique émerge. “On a commencé à se politiser, à revendiquer : on veut faire la fête librement. On écrivait des textes, on réclamait le droit de s'éclater, de prendre le temps de vivre. On n'était pas juste les pieds dans la boue, la tête dans les étoiles. Et on s'est dit : « Faut faire mal, faut faire des gros coups. »”

Et le premier gros coup arrive quelques semaines plus tard, pour Halloween. Les Heretiks décident d'organiser une free party en plein Paris. “Ça se passait en bord de Seine, dans la gare de fret sous Bercy. C'était abandonné. On voulait cramer la capitale, je me souviens avoir arrêté la circulation sur les quais pour laisser manœuvrer les camions. Et ça a marché, on a rassemblé trois mille personnes. Tu te rends compte ? Trois mille personnes, à 23 heures, en plein Paname sans que personne s'en rende compte ? Mais que fait la police ?” Le 14 juillet 2001, Jacques Chirac, alors président de la République, donne un cours de techno aux Français devant leur télé. Tagada, crac-crac : “Les rave party, qu'est-ce que c'est ? C'est une culture qui existe et qui a son charme. Ce qui pose problème, c'est ce qu'on appelle aujourd'hui les free party.”

Trois ans plus tard, les Heretiks rempilent à Molitor, une piscine art-déco du 16e, classée monument historique et laissée à l'abandon depuis des années. “Il a fallu deux mois de préparation pour tout nettoyer. Molitor, c'était un repaire de graffeurs et de clodos. On était déguisés en ouvrier du bâtiment pour pas attirer l'attention, on réservait les places de stationnement comme les camions de ciné. On marchait comme un commando avec des postes et des rôles pour chacun.” Là encore, les RG passent à côté et les Heretiks font rentrer six mille fêtards. “Manu le Malin mixait à Strasbourg cette nuit-là mais il voulait absolument être là. Quand il a terminé sa soirée, il a foncé en bagnole et il est arrivé à la piscine à 8 heures du matin. Le son a pété jusqu'à 11 heures. C'était l'apothéose, on a fini par arroser les enceintes au champagne.” Heretik System, We Had a Dream, le rêve est devenu réalité. Commeeent ? Je dis, le rêve est devenu...

Heretik System : We Had a Dream, sortie fin octobre. http://www.heretik.net/.