samedi 14 août 2010

Paroles de casseurs, par Vincent Martin (article publié dans Brain-Magazine)

On les voit d’habitude en une de Paris-Match ou chez PPDA. Venus des banlieues pauvres ou de la gauche extrême, ils n’aiment pas la police et ses gaz lacrymos. David, Stéphane et Driss sont des casseurs. Chacun pour des raisons différentes.

DRISS
Driss a 18 ans. Originaire de Savigny-sur-Orge dans l’Essonne, il a participé aux violences des manifestations anti-CPE. Il l’avoue : pour casser, pour voler et pour montrer que la banlieue existe.

La banlieue descend à Paris
« Quand tu fais le trajet en RER, faut pas être nombreux : deux ou trois, pas plus, sinon t’es cramé. Ce jour-là, on part vers 14h00. A chaque station, y a des casseurs qui montent. Ils viennent « faire leurs courses » à la manif, ça se voit trop. Moi, je sais pourquoi j’y vais : pour taper et pour me taper avec les schmitts. A St Michel, on se retrouve sur le quai. On est genre 1 000. Je reconnais des mecs de Savigny comme moi, des mecs de Vitry, des mecs d’Ivry… Le but, c’est d’arriver par petits groupes et de se rassembler une fois sur place. On se capte avec les portables, en envoyant des textos. Faut jamais arriver au début de la manif : quinze re-nois ou re-beus avec des capuches, c’est cramé direct. L’idée, c’est de rentrer dans le cortège quand la manif a démarré.

Nous, on décide de rentrer boulevard du Montparnasse. On repère des mecs qui s’éloignent de leurs potes et on les chasse. Quand ils se relèvent, patate. Là, on prend leur portable. Après, faut t’éparpiller dans la foule, jamais rester sur place. On sait jamais. Cinquante mètres plus loin, tu recommences. A ce moment-là, j’ai déjà deux Samsung et un i-Pod. C’est trop facile, le service d’ordre est bidon. Ils ont pris des volontaires, y a même des meufs. Tu les secoues, elles pleurent. A un moment, je vois un mec en train de prendre des photos avec son numérique. Je me cale derrière lui avec deux potes et je lui arrache l’appareil. Là, je sais pas ce qui se passe, il se défend et moi, je glisse sur un truc. Je me retrouve par terre et mes potes lui tombent dessus : boum, grandes claques.»

La police charge
« On arrive à Invalides et c’est chaud déjà. Avant, y avait eu des embrouilles au Sofitel, des voitures cramées et des vitrines qui avaient volé. Les pompiers sont arrivés et ils se sont fait caillasser. Nous, on commence à se rassembler et à caillasser les schmitts. Ils peuvent rien faire parce qu’il y a encore trop d’étudiants. On fait les poubelles et on balance toutes les bouteilles qu’on peut trouver. On commence à péter des grilles, des branches d’arbres et on fait des barricades. Des mecs arrivent avec des jerrycans et on met le feu. Les schmitts s’en prennent plein la tête et tu sens qu’ils sont rageux. Quand ils attrapent un mec, ils se mettent à quatre dessus. Bam, bam, coups de matraques. Le plus chaud, c’est d’esquiver les vil-cis. Ils s’habillent comme des cailles : casquettes New York, baskets, petits sweats à capuche. Y’en a qui y vont au vice, genre bonnets rasta, foulards d’Arafat. Tu jettes un caillou et tu te fais serrer direct.

A 18h00, les CRS nous chargent et là, c’est chaud. Je connais plein de potes qui se sont fait serrer. A la fin, tu voyais les mecs alignés contre un mur, les mains dans le dos avec les pinces. Quand ils chargent, il faut esquiver les arbres et les bancs. Ça court dans tous les sens mais dès qu’on peut niquer un schmitt, on le fait. Va voir les images sur Dailymotion, tu vas halluciner. Dès qu’un flic sort du troupeau, on le défonce. Ils se chient dessus, ça se voit. On dirait qu’ils ont pas d’ordres, qu’ils sont perdus : ils avancent, ils reculent, ils servent à rien. Dès qu’ils balancent des lacrymos, on les renvoie vers eux avec un grand coup de pied. Ils savent qu’on est trop nombreux et qu’on a trop la dalle. On montre qu’on est là, qu’on existe et qu’on nique tout. On nous a trop longtemps oublié.»

STEPHANE
Nous l’appellerons Stéphane. Sous le coup d’une peine de prison avec sursis, il préfère garder l’anonymat. Membre d’un groupuscule d’extrême gauche, il occupe son temps entre la fac et le collage d’affiches. Mais aussi la castagne.

Les préparatifs
« Une heure avant la manif, le mieux, c’est de prendre des comprimés genre Rumicine. C’est contre les lacrymos. Tu trouves ça en pharmacie, sans ordonnance. Si tu te retrouves au milieu des lacrymos, couvre-toi le nez et la bouche avec un masque que t’as préparé chez toi, avec un coton trempé dans l’eau bicarbonatée. Tu peux aussi prendre du jus de citron sur un coton ou de l’œuf et du vinaigre. Si jamais t’es gazé, mets surtout pas d’eau, ça va brûler encore plus. Prends de la Polarmine en sirop.

Viens jamais dans une manif qui va dégénérer les mains dans les poches : mets un casque, un protège-dents - celle-là, je l’ai perdue au 1er mai quand on s’est tapé avec les mecs du FN. Mets plusieurs pulls les uns par-dessus les autres pour amortir les coups et prévois une petite matraque. Ça peut aller du simple manche à balai scié jusqu’à la matraque télescopique : elle tient dans la poche et elle se déplie quand tu la sors. En revanche, si tu te fais serrer avec ça, tu finis au poste. Et puis fais pas comme les branleurs de 15 ans qui veulent se la raconter devant les flics : sweat-shirt à capuche et écharpe. Faut pas qu’on voie ta tête. Aujourd’hui, les flics te filment dans les manifs. Si tu balances une pierre sur un CRS et que la caméra te filme, t’as deux OPJ qui viennent frapper à ta porte le lendemain matin 6h00 pour passer en comparution immédiate.»

Une cause à défendre
« Après, ça dépend de jusqu’où tu veux aller. Moi je pense qu’on ne fait pas la révolution avec des manifs ou des tracts. Tu veux que ça change ? Prends les armes, c’est tout. Je sais que c’est un discours extrême mais c’est comme ça que je vois les choses. Voilà ce que je pense : Lis : « L’intensité d’une telle réplique donnera la mesure de notre capacité future à répondre coup pour coup à ses offensives. Si un embrasement des banlieues est prévu et prévisible, il ne pourra tenir qu’en se trouvant, cette fois-ci, relayé jusqu’au coeur de la métropole.» Je n’aime pas le pouvoir ni aucun de ses symboles : état, flics, juges, journalistes, curés. Pour y arriver, il faut casser le système en place. Je serai toujours dans les manifs où je pourrai casser du flic. Je suis un casseur et j’en suis fier. Un casseur de tout le système en place, de toutes les injustices, de toute la répression. J’emmerde les caméras de surveillance et tous ceux qui veulent nous fliquer. Si tu me demandes si j’ai déjà balancé un cocktail molotov, je te réponds oui. Un conseil: jette toujours ton cocktail sur le côté. J’ai vu des mecs le bras ou le dos en feu parce qu’au moment de lancer, l’essence s’est renversée sur eux.»

DAVID
David est Juif. A 27 ans, il est pratiquant sans être orthodoxe. Mais quand les Juifs de France sont menacés, il n’hésite pas, il manifeste. Et cogne.

La manifestation
« Ça montait depuis plusieurs semaines. Des synagogues brûlaient, des slogans antisémites arrivaient sur les murs. La veille de la manif, 30 000 mecs avaient défilé à Paris pour soutenir les Palestiniens. J’ai rien contre. Sauf que certains ont commencé à brûler des drapeaux d’Israël ou à montrer des pancartes avec écrit « Juifs = croix gammée ». On a vu les images au 20h00 et on s’est tous envoyé des textos pour se chauffer. Ça a duré jusqu’à 3h00 du mat’, non-stop. On voulait tous se venger et montrer qu’on allait pas se laisser faire. Fallait de la casse et fallait que ça se voie.

Le lendemain, le 7 avril, on se retrouve tous à République. Avant le départ du cortège vers Bastille, il y avait eu quelques petites embrouilles, mais rien de méchant grâce au service d’ordre. Moi, tout de suite, je marche en tête de cortège, avec les mecs de la L.D.J., la Ligue de Défense Juive. Je suis pas d’accord avec leurs idées, mais quand il faut se taper, ils sont carrément là. Derrière nous, 200 000 personnes défilent avec des drapeaux d’Israël et des banderoles. Y a des people, des hommes politiques…

Au fur et à mesure qu’on se rapproche de Bastille, on sent la tension qui monte. Aux balcons, des mecs nous font des doigts d’honneur, on les siffle et on répond. Dans les rues parallèles aux Filles du Calvaire, on sait qu’il y a des frappes. Des jeunes Juifs reviennent en sang. Arrivés à Bastille, ça fritte avec les journalistes de LCI et de France 2. Ils sont chahutés. Des manifestants attrapent les appareils photos et les écrasent au sol. Là, les organisateurs de la manif appellent à se disperser, dans le calme. Mais on est trop chauds, ça peut pas se finir comme ça, on veut que ça parte en couille. Et les flics le sentent. Ils demandent aux cafés de ranger leur terrasse et de fermer boutique.»

Ça se tape à Bastille
« Et tout d’un coup, on entend des cris et on sait qu’il y a de la tape. Ce bruit-là, on le connaît par cœur. On l’a déjà entendu dans le Marais une semaine avant. On fonce vers la rue de la Roquette où ça tape dans tous les sens. Je baisse la visière de mon casque et je ramasse une bouteille par terre. Au début de la rue de la Roquette, on est une trentaine et on se retrouve nez à nez avec des pro-Palestiniens qui agitent des drapeaux du Hezbollah, un groupe terroriste. Ça charge. J’en vois un de ma taille à côté du grec, avec un keffieh sur le visage. Je cavale et je lui mets un grand chassé. Il tombe sur le trottoir et je lui mets un coup de pied dans la tête. J’ai senti son nez exploser sous ma chaussure. Je vois d’autres mecs arriver vers nous, de Léon Blum. Des mecs plus âgés et plus costauds. J’entends : « Ils ont des couteaux, ils ont des couteaux ! ». On se replie vers la Bastille et quelques mecs sont retranchés dans le café qui fait l’angle. Des Juifs descendent les vitrines et chargent à l’intérieur. Les CRS interviennent et tout le monde finit dans les gaz lacrymos. Je sais que ce jour-là, un commissaire de police a été poignardé. Il a passé plusieurs jours à l’hôpital.»

mercredi 4 août 2010

Le Pen - Et Maintenant, que Vais-Je Faire... par Vincent Martin (publié dans Brain Magazine)

Après 54 ans passés en politique, Jean-Marie Le Pen prend sa retraite. Fondateur du FN, il laisse derrière lui le « détail de l'histoire », des calembours de fin de banquet et un deuxième tour à l’élection présidentielle de 2002. Mais à part ça, qui sait qu'il chante du Marc Lavoine quand il a forcé sur la tise, qu'il fait fabriquer ses chaussures à Hong-Kong et qu'il regrette de ne pas avoir été interviewé par 30 millions d'amis? C'est ce que montre J.M.L.P, un documentaire de 52 minutes tourné par deux jeunes journalistes, Vincent Martin et Benjamin Cotto. Caméra au poing, ils ont suivi le « Président » pendant la campagne européenne de 2009. En exclu pour Brain, ils racontent leurs six mois passés avec Jean-Marie.

« Monsieur Le Pen vous recevra au parc de Montretout, à St Cloud, dans ses bureaux privés. Vous avez l'adresse? OK. Je vous donne le code de la grille. Ensuite, vous sonnez à... » Janvier 2009, 17h00, il fait 0° et presque nuit. On gare l'Audi devant le manoir de J.-M.: 430m2, onze pièces, un jardin de 5 000m2, MTV Cribs, t'as vu? C'est surtout l'héritage d'un militant du Front qui voyait en Le Pen le sauveur de la France. Loupé. Les deux voitures du « Président », une 605 et une C6, noires, vitres teintées, toutes options, sont garées sur le parvis. L'une des plaques se termine par « … FN 92 ». On sonne. Derrière la grille et les arbres, on aperçoit des pièces allumées. On re-sonne. Une employée de maison nous ouvre. Elle est polonaise et tire un gros chien beige par le collier. Avec un fort accent, elle nous dit qu'au pays, ses parents sont bloqués par la neige. « Chez moi, les écoles sont fermées. »

Le directeur de la com' nous accueille et nous présente le chat, Radio Courtoisie en fond sonore. On monte le grand escalier en bois où sont accrochés deux mille portraits du chef: Le Pen en para, Le Pen en pirate, Le Pen en patron pécheur, c'est le catalogue Big Jim ou quoi? « Ce sont des cadeaux des militants offerts au Président. On a une pièce en bas qu'on appelle « le salon des horreurs »: cinquante ans de cadeaux de supporters du FN qu'on entasse parce qu'on a pas le cœur de les balancer. Là, c'est un coquillage breton peint à la main, signé par un fan de M. Le Pen. » On croise le chauffeur de J.-M. et on entre dans le bureau qui voit sur tout Paris, au moins jusqu'à Poitiers. Dans son fauteuil, Le Pen chante: « Comme famille on n'a qu'une marraine, quelque part en Lorraine, et c'est loin... » What? C'est du Ferrat. Jean-Marie pose un enregistreur sur la table basse pour garder une trace et attaquer les journalistes qui déforment ce qu'il dit. L'interview commence devant la cheminée, les statues de Jeanne d'Arc et le casque d'un scaphandrier. Le secret de sa patate? « Tous les matins, cent vingt abdominaux, quarante pompes et des exercices de stretching, comme on dit maintenant ». Vous aimez les bêtes? « J'ai un briard et un chat, ici à Montretout, et un doberman, mais qui reste dehors. L'autre est mort il y a quelques temps. Et chez ma femme, j'ai deux chiens ,des Ibizenko, un chat, des poissons dans un bassin, des oiseaux, des grenouilles qu'on rapporte du Midi dans des boites à chaussures... Et des hérissons. Mais allez savoir pourquoi, malgré les murs et les grilles, ils s'échappent. J'ai même eu un rat. Et un berger allemand. Mais il n'est pas resté, il ne s'est pas plu chez nous... Avec ça, je ne comprends pas pourquoi l'émission 30 millions d'amis n'a jamais voulu filmer chez moi. Pourtant, j'ai déjà vu des épisodes avec des hommes politiques. » Son Motorola sonne. Il raccroche.

« Ma femme me dit: « Tu n'es pas à la mode! » Mais c'est moi qui fait la mode alors par conséquent, je suis à la mode ». Ji-hème porte un costume bleu italien, demi-mesure, de chez Bonucci à Nice, une chemise blanche, une cravate or Hermès et la pochette qui va bien. « Avant, je faisais fabriquer mes chaussures à Hong-Kong. Là, regardez mes mocassins. C'est du lézard. Ici, ça vaut une fortune. » On lui rappelle le sapin de Noël encore décoré, dans le salon du bas. « Contrairement à ce qu'on pourrait croire, je ne suis pas un grand-père gâteau. J'ai neuf petits-enfants, j'aime les voir, j'aime leur faire un câlin de temps en temps, mais j'aime aussi qu'ils restent à leur place et sous la surveillance de leurs parents. Et je n'aime pas, non plus, cette mode de couvrir les enfants de cadeaux somptueux à Noël. Moi, je leur lâche une planche de timbres, une médaille militaire... J'ai ramené des blue-jeans brodés de mon dernier voyage, pour mes petites-filles. »

Sur les étagères de la bibliothèque, Le Pen fait défiler sa collec' de pin's: un en forme de coup de pied au cul « On ne retient personne », des fédérations locales du FN, la flamme bleu-blanc-rouge et même un pin's de la coupe du monde de foot 94, aux USA. Il fouille entre les livres et les statuettes en plâtre. « Alors ça, c'est une médaille des J.O. d'Athènes. Un jour, je suis à l'aéroport d'Athènes et je suis abordé par un garçon. Il me dit: « Président, je suis marocain, légionnaire, j'ai fini troisième au marathon et j'aimerais vous donner ma médaille. C'est drôle... » Le Pen scrute l'horizon avec une longue-vue posée devant la fenêtre du bureau. « Parfois, je joue à Fenêtre sur cour et je regarde les bureaux d'en face. Mais je dois le dire, je n'ai eu qu'une seule bonne surprise. Une, en trente ans, c'est peu. » Il rit très fort parce qu'il adore cette vanne. L'interview s'arrête et Le Pen nous propose d'appeler un taxi. On répond qu'on est en voiture. « Ek so bikeut! » Il répète souvent ça mais on n'a jamais compris ce que ça voulait dire.

L'élection européenne a lieu le 7 juin 2009. Début févier, le chef du Front part en tournée dans sa circonscription du sud-est. En 2004, Le Pen avait raflé un siège au Parlement, le sien. 8H30, Jean-Marie arrive à l'enregistrement d'Air France dans un grand manteau noir, suivi par son garde du corps même-pas-tu-blagues-avec-lui. Le Pen nous salue, vite fait, et aucun voyageur ne remarque le big boss du FN. Au portique, l'alarme sonne et Le Pen s'énerve contre son bodyguard. « C'est ton arme qui sonne, pose-là! » Des employés d'Orly rappliquent. « Un garde du corps a le droit de porter une arme, y'a que le commandant de bord qui peut s'y opposer! » Le pilote accepte, bienvenue à bord, Dirty Harry. Le Pen est assis au premier rang de l'Airbus et s'endort. 10H05, l'avion se pose à Toulon. Son service d'ordre l'attend sur le parking. Le cortège démarre, grille les feux, change de file et fait crisser les pneus. « On est pas des pédés! »

Le convoi se gare devant un restaurant, Le Nationale 8, un boui-boui chelou en banlieue toulonnaise. Au menu, galettes des rois, brioches provençales et jus d'orange à gogo. Le Pen fait son entrée et les trois cents militants font péter les Pola. Les serveuses portent des parts aux membres du service d'ordre. « Et comme de bien entendu, qui a eu la fève? Le président du Front National, Jean-Marie Le Pen, déclaré roi de cette soirée! » Le Pen se lève mais ne reconnaît pas la fève: « Je suis le roi! C'est joli, qu'est-ce que c'est? » « Une botte, Monsieur le Président. » Le leader du FN enfile sa couronne et chez les militants, c'est la finale de la Champion's league. Jean-Marie prend alors le micro et refait ses meilleurs sketchs, debout pendant une heure et demie, au milieu du public: « les Roumains et leurs allocs », la Seine St Denis qui ressemble au Kosovo, la crise économique, les promesses du « bon Docteur Sarkozy »... et l'immigration: « Ti vois mon fils, çi coum ça qu'ils travailli li paysons fronçais! » Gerra for ever. Sans louper la vanne du week-end: « Si ça continue comme ça, Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille, il va bientôt s'appeler « Ben Gaudin. » Pouet. Retour en train.

« Vous avez trouvé facilement ? Jean-Marie arrive, il est avec des amis. Vous voulez du gâteau? » Le patron du FN habite dans les Hauts-de-Seine, à Rueil-Malmaison, dans une maison ancienne avec terrasse, piscine, pelouse coupée en brosse, dépendances et au milieu coule une rivière. Il est encore à table et chante « … à la santé du Roy de France, et merde au roi d'Angleterre, qui nous a déclaré la guerre... » Le Pen arrive et sa femme lui plaque les cheveux en arrière avec de la bave. « La fresque là-bas sur le mur, c'est notre chien adoré, Iamos. Il a d'ailleurs sa tombe, là, derrière. » Can you repeat? Le chien des Le Pen est enterré dans le jardin, sous une plaque de marbre, à côté du refuge à oiseaux. « On l'adorait, c'était un chien... royal, un Ibizenko! » Jany dit à Ji-hème de faire attention où il met les pieds parce que les chiens qui restent ont miné le terrain. Elle attrape un sac plastique et ramasse les crottes. Le Pen lance une balle de tennis à un clebs. « Vous savez, les Français ne savent pas la chance qu'ils ont d'être en France. Et j'ai peur qu'ils ne s'en aperçoivent que quand ils l'auront perdue... » Le chien rapporte. « Ce qui me gêne, c'est qu'on s'attaque à ma personne, que les gens ne connaissent pas dans le fond. J'ai été érigé « Grand méchant loup de la politique française. » Mais vous savez, les Français sont assez décervelés. Sinon, comment expliquer que le peuple qui se dit le plus intelligent de la Terre, se soit mobilisé contre moi, de cette façon, entre les deux tours de la Présidentielle? » Il nous présente un ami, un ancien explorateur en blouson léopard, assis dehors, à l'élocution difficile après un A.V.C. « Quand je me suis réveillé à l'hôpital, le premier visage que j'ai vu, c'était celui de Jean-Marie. C'est une amitié intrahissable! » Le Pen caresse les cheveux de son pote et tente de lui faire comprendre qu'il est en train de se taper la bife. Mais l'autre continue: « Intrahissable! » Le Pen ouvre la porte vitrée et nous fait rentrer au salon: « Alors ici, c'est l'Afrique, avec ma collection de statues et de masques africains! Là, c'est le bar en verre et là c'est moi. », c'est-à-dire une photo de lui quand il faisait de la planche à voile en maillot arc-en-ciel. « C'est le petit chat, ça oui, c'est le petit chat... » Il monte à l'étage se tient aux murs et s'arrête devant le dressing de P. Diddy: deux mille cravates, godasses et chemises classées par couleur, comme si un vendeur d'American Apparel habitait là l'année. « Oh, je ne vais guère dans les magasins, c'est le personnel qui s'en charge, ou Jany. » La visite continue. « Ca, c'est un bâton de pluie, c'est un chef indien qui me l'a offert! » Pendant dix minutes, Le Pen agite son bâton de pluie pour comprendre d'où vient le bruit. Ding-dong. « Ah, je crois qu'on sonne à la grille du parc, je vais ouvrir. » C'est Marine, sa fille, des chiots plein les bras. « Vous auriez dû prévenir, je me serais habillée. » Là, elle porte un treillis.

Plus qu'un mois avant les élections. Le Pen court les meetings, parle de la torture à Dimanche +, est pris à partie par une concierge reu-beu à Marseille, fête le 1er mai avec « les Français qui aiment le cochon » et mate Susan Boyle sur Youtube, sous l'œil de notre caméra. Ce matin, il a rendez-vous au Bourget, à l'aube, pour embarquer dans un avion privé, kawa et mini viennoiseries en veux-tu en voilà. C'est un lendemain de finale de Coupe de France et Le Pen lit la une de L'Equipe. Guingamp a gagné, c'est écrit en breton. « Je vais la garder celle-là, je suis breton vous savez. » Le commandant accueille J.-M et son garde du corps et le Falcon décolle. « On a le vent dans le cul, non? » Au programme du week-end: l'Ardèche, l'Isère, la Drôme et Marseille, conférences de presse dans des hôtels merdiques, dîners avec des militants qui auraient pu jouer dans Délivrance et banquets patriotiques, histoire de rappeler qu'il serait temps qu'un sang impur abreuve nos sillons, tsoin-tsoin-tsoin. Le Pen se confie: « L'autre jour, je prends le train et j'entends un homme qui se vante de ce qu'il a fait en Algérie pendant la guerre. Je vais le voir, il me reconnaît, il est content. Là, je lui demande le nom de la région où il a fait la guerre. L'endroit ne me dit rien, bizarre. Bon. Je lui demande le nom de son commandant, il me dit qu'il s'en rappelle plus. Impossible! Je l'ai foutu dehors du compartiment à coups de pied, dis donc. C'était un charlatan! Ce type, c'est une merde, un sous-homme! »

Il est minuit et demi, le meeting est fini. Le Pen retourne à son avion privé pour aller dormir dans un quatre étoiles à Marignane. Dans le jet, il a la che-pê, tombe la cravate, réclame du champagne et chante avec ses assoces: « Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux? Le Pen! Le Pen! Tu te rappelles, on chantait ça en 2002! » Le garde du corps trouve une autre bouteille et Le Pen envoie: « A la santé du petit conduit, par où Margot fait pipi! » Pendant que son directeur de campagne débouche la Taittinger, Le Pen s'attaque à Marc Lavoine, comme il peut: « Elle a les yeux revolver, elle a le sourire qui tue... » Chacun raconte sa guerre, la présidentielle contre Chirac. « Moi, après le premier tour, j'ai chialé comme un gosse et ensuite, je suis allé me saouler la gueule, Président! » « Moi, c'est Michelle Cotta qui m'a appelé. A l'époque, c'était la patronne de France-Télévision. Elle m'a dit, c'est bon, faites la bise au Président de ma part, c'est bon! » Mais la meilleure est pour Le Pen: « Tu te rappelles, je t'ai dit: « Profite, ça va pas durer. » A ce moment-là, au deuxième tour, tu n'as que des ennemis dans les bureaux de vote. Tu n'as aucune garantie de sérieux. » Et Le Pen imite un gars qui bourre les urnes. L'avion se pose. A demain? « Tomowo iz eunozeu day » répond Le Pen.

« On a pas le droit de vous le dire, c'est une surprise! » Sur le mail, c'est écrit « Visite en car d'un lieu symbolique. » Retour à Nanterre, au siège du FN, rue des Suisses, à vingt minutes à pied du RER. C'est l'immeuble d'une ancienne entreprise de sécurité. A l'entrée, la boutique de souvenirs est ouverte: cartes postales « Inch' Allah », T. Shirts « Bon voyage mon pote » et caleçons avec la flamme du Front imprimée sur la teub. Dans les couloirs, le service de la com' a patafixé les affiches de campagne, les unes des magazines et les photos des stars que Le Pen a croisées: Reagan, Prost, le Pape...

Le car attend les ténors du FN dans une avenue plus bas. Jean-Marie ouvre la marche et râle: « On leur avait pourtant dit de pas coller des autocollants FN dans le quartier. C'est vrai que c'est plus facile ici qu'à Aubervilliers. » Un camion de poubelles descend la rue et deux éboueurs noirs accrochés derrière lui font salut de la main avec un grand sourire. « Vous voyez, vous voulez pas le croire, mais c'est vrai! » Le car avance sur le périph' et Le Pen raconte le clash entre Cohn-Bendit et Bayrou, la veille, sur « Antenne 2 »: « Saint Dany a été agressé! Si un homme politique a plus le droit de branler les petits garçons pour leur montrer ce que c'est que le plaisir... on est en République ou pas? » On ne sait toujours pas où on va et Le Pen chante Brassens: « Les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics, bancs publics... » Le car est arrivé. Le lieu symbolique, c'est le parc Astérix. Le service d'ordre porte des casques à cornes et des nattes rousses mais bizarrement, personne ne veut les tester. Le Pen est ravi et commence son discours sous le menhir du parc: « Tous? Non, car un parti politique peuplé d'irréductibles gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur... » J.-M. félicite le mec de la com' qui a écrit le texte et remonte dans le car avant d'imiter la corne de brume avec sa main: « Poooooooh. »

7 juin 2009. Le Pen vote à St Cloud, se trompe de bulletin, arrache des feuilles scotchées sur le présentoir, ne trouve pas l'isoloir et choisit finalement celui réservé aux handicapés. « Jean-Marie Louis Le Pen. A voté! » Quelques heures plus tard, grande soirée au siège du Front. Les camions de TF1, France 2 et BFM TV sont garés sur le trottoir. Dans son bureau, Jean-Marie se fait maquiller par une grande blonde, tête en arrière, Kleenex sur le blazer et fond de teint sur les cernes. Dans quelques secondes, il va commenter les scores de son parti sur TF1, à la sortie des urnes. Le FN perd trois sièges au Parlement de Strasbourg et ça le rend ouf. « J'ai l'habitude des soirées électorales, je sais comme elles peuvent être manipulées... » L'interview se termine, Chazal dit merci et le technicien défait le micro. « Déshabillez moiii... » chante Le Pen. Il retourne à la soirée et commente les résultats avec les autres, autour du buffet. « Elle est bonne la viande froide. Il vous reste du Poilâne? » Son téléphone sonne, c'est Marine, qui doit passer à la télé bientôt. Consignes: « Tu défonces aussi les instituts de sondage, « Opinion-Sarkoway... » » Minuit. Le Pen retrouve le sourire et rentre chez lui, à Malmaison. Il chante Bécaud. « Et maintenant, que vais-je faire, maintenant, que sera ma vie... »

Strip-Tease, de Jean Libon et Marco Lamensch

Quand le porno bande mou, par Vincent Martin (publié dans Brain Magazine)

Il y a trente ans sortait sur les écrans le film Exhibitions. Ce long métrage sexy offrait son premier rôle à une star nationale, Brigitte Lahaie. Aujourd’hui, l’anniversaire est triste : le cinéma porno, élégant et soigné des années 70, a disparu face à la déferlante du sexe à volonté.


Une descente de police dans une maison close. Brigitte Lahaie, tenancière de l’endroit, doit fermer la boutique. Les clients, pantalons aux chevilles, sont jetés à la rue. Les filles, porte-jarretelles en berne, sont priées de pointer chez la mère Assedic. « Que vais-je devenir ? » demande alors la belle Brigitte. Réponse du commissaire : « T’as qu’à ouvrir une école, ils manquent de monde à l’Education nationale ». L’ancienne maison de joie bourgeoisement décorée devient alors la pension Mimosa. Une pension de jeunes filles où l’on n’enseigne pas le courage des Poilus mais les mille et un gestes sur les régions poilues. Travaux pratiques osés et cours de fellation, stages de kâma sûtra et techniques solitaires, tableau noir à l’appui et heures de colle en sus. Les jeunes élèves bachotent et décrochent leur diplôme après avoir passé des examens obscènes. Pour célébrer la fin de cette année scolaire, parents et fiancés sont conviés à la fête donnée au mois de juin, bien loin des tombolas des écoles de quartier. Pour mesurer la science de ces jeunes étudiantes, plongez-vous dans le film Les Petites Ecolières, un chef-d’œuvre du genre tourné en 80, sorti chez Alpha France. Brigitte Lahaie signe avec classe son dernier rôle cochon. Depuis les Ecolières, rien n’est plus comme avant. Des films formatés assouvissent la demande d’un public insatiable porté sur la longueur et les bonus de fin plutôt que sur l’ambiance et les travellings habiles. Dans son peignoir de soie, l’amateur de belles œuvres pleure cet âge d’or du X.


Rembobinons. Je suis à Prendre, Parties de Chasse en Sologne ou Le Sexe qui Parle offraient des scénarii. Tantôt un savant fou aux ardeurs frénétiques fabrique une femme objet pour apaiser ses manques. Tantôt deux bons amis montent une juteuse affaire et offrent leur vigueur aux épouses délaissées. A quatre pattes, Brigitte Lahaie, Marilyn Jess, Martine Grimaud recevaient en souriant les assauts répétés d’un partenaire poli. Contre le mur, Alban Ceray, Richard Allan-dit-queue-de-béton, s’appliquaient à donner du plaisir et du soin aux actrices qu’ils fêtaient. Gérard Kikoïne, Jean-François Davy ou Frédéric Lansac montraient des femmes de chambre en petits tabliers, des maîtresses en fourrure et des hôtesses de l’air, des patrons vigoureux et des plombiers barbus qui partageaient l’amour d’un cinéma unique. En 75, les salles affichent complet et ouvrent un peu partout. Trois millions de personnes vont voir Exhibitions et deux millions deux cent regardent Les Jouisseuses. De son côté, La Masseuse Perverse soulage plus d’un million de membres ankylosés. Un nouveau genre est né, de la France à l’Allemagne jusqu’aux pays nordiques, teinté d’humour grivois, de femmes appétissantes et de rapports courtois.


Mais une innovation fait tomber l’érection, comme un mari trompé rentré plus tôt chez lui. A grands renforts d’affiches, le fabricant Philips lance le magnétoscope : le cinéma cochon s’invite chez les Martin et n’est plus réservé à quelques salles obscures des bas-fonds des grandes villes. Une grosse boîte à chaussures avec une large fente permet de prendre son pied dans son fauteuil en skaï imitation agneau. Le mateur de partouzes peut ainsi consommer autant qu’il le demande, pourvu qu’il soit aidé d’un bon vidéoclub. D’un film ou deux par mois caché sous des solaires ou une barbe en moquette, ledit M. Martin passe à dix VHS, par semaine ou par jour. Il faut alors répondre à cette subite demande d’un public aguiché. Les producteurs de X pullulent à Hollywood et fabriquent à la chaîne des films sans chaleur. Ils doivent tourner plus vite et remplir les rayons des sex-shops de Pigalle. Les jolies mises en scène peuvent aller se rhabiller.


Puis les années 2000 et leur cortège de clics enterrent une dernière fois les productions léchées. Avec Internet, les ados, les âgées, les trans, les Noires, les naines, les grosses ou les refaites s’affrontent sur des index chaque jour un peu plus vastes. Désormais les Martin mettent en scène leurs ébats sur le tapis indien rapporté du Mexique. Les gestes sont balourds et la caméra tremble. Mais le public se pâme et un genre apparaît : le gonzo. Ces films montrent à l’envi des scènes de 15 minutes dans des chambres d’Ibis. Les dialogues sont bannis pour éviter les frais de doublage à l’export. Les filles de Bulgarie regardent le plafond dans des scènes établies selon un protocole. Une fellation précède une douloureuse levrette, avant une giclée grise sur des joues pâlichonnes. L’acteur à casquette Nike renifle une dernière fois et l’actrice part en quête d’une feuille de Sopalin.


Et difficile de croire que le porno d’avant revienne sur nos écrans. Car ce porno nouveau rafle tous les succès. Un site pornographique de qualité moyenne amasse en une journée jusqu’à 15 000 dollars. Aux Etats-Unis, 30 millions d’internautes vont sur des pages cochonnes au moins une heure par jour. Des empires naissent alors grâce à ces productions qualité Leader Price, en Suède avec Private, aux States avec Vivid. Le gros chiffre d’affaires du porno d’aujourd’hui nous laisse les yeux mi-clos comme après une étreinte : 50 milliards de dollars l’an passé. Le rêve d’un porno chic aux raccords impeccables part aussi vite et loin qu’un orgasme macho.


Mais la technologie n’est pas seule responsable des violents coups de cravache portés au beau porno. La morale des églises a perdu tout son poids dans les grandes sociétés. Désormais les actrices défilent sur les plateaux et dans les hit-parades. Les producteurs d’antan, inspirés par la fesse, ménageaient la morale derrière une esthétique. Ils toisaient la critique et répondaient « art neuf ». L’esthétique est tombée, en même temps les principes des judéo-chrétiens.


Enfin, les femmes s’y mettent et le marché s’allonge. En 72, d’après le Rapport sur le Comportement Sexuel des Français du Pr. Simon, la moitié des Françaises refusent la fellation. Dix ans plus tard, les Françaises sont déflorées quatre ans plus tôt que leurs aînées. Pilule et IVG, elles achètent leurs sex-toys chez les grands couturiers et choisissent les pornos qu’elles vont voir le soir même avec leur fiancé. Le marché de la fesse passe alors d’un seul coup de trois milliards d’adeptes à six milliards d’humains répartis sur le globe. Il nous reste à souhaiter qu’une poignée d’amateurs fasse revivre le genre. Un genre abandonné au profit du profit. Comme un zizi tout mou devant ce qu’il regarde.

Sneakers, de Thibaut de Longeville et Lisa Leone

Marc Jacobs Louis Vuitton, de Loïc Prigent

Capitalism, a love story de Michael Moore

Ta Doudoune ou J'te Plume, par Vincent Martin (publié dans Brain Magazine)

Non, Chevignon ne pouvait pas fêter son anniversaire, comme tout le monde, dans une cave à Saint-Germain, avec un feu de Bengale coincé dans la braguette. Total, la marque fête ses 30 ans et ressort sa doudoune Togs Unlimited légendaire. Avec ses tons criards de plasma en fin de course et ses colverts migrant vers la chaleur, la doudoune Chevignon s'invite aux fêtes branchées. Pourtant, à la fin des années 80, il fallait le même courage qu'un Parisien sur le Vieux-Port un soir d'OM-PSG pour sortir sa doudoune du plastique. A l'époque, la France n'a pas encore gagné la Coupe du monde et la dépouille est un sport national.


« On était samedi après-midi, avenue Victor Hugo à Boulogne, devant le vidéo-club, je me rappelle. Je sortais du métro et j'allais chez mon père. Un mec, genre 20 ans, m'arrête et me demande l'heure. Je lui donne. Là, il me fait : "Elle est belle ta doudoune". J'étais naïf, j'ai dit "merci" et j'ai souri. C'est là qu'il me sort : "Ta doudoune ou je te plante !" J'ai pas cherché, je lui ai donné, je suis rentré chez moi et j'ai chialé jusqu'au lundi matin. »


Tous les fans de A-Ha, des Creeks et du Minitel se rappellent la doudoune Chevignon. En 1979, Chevignon reprend l'image fifties et vend des cuirs de pilote aux jeunes minets branchés. Comme dit Guy Lagache dans Capital : « En 1984, Chevignon a une idée qui fera son succès : une simple doudoune, comme on voit dans les montagnes américaines. » La doudoune est bleu marine, beige ou verte, des plumes dans la doublure, sans manches, du cuir sur les épaules et un canard dans le dos, histoire d'être équipé pour aller dessouder deux-trois familles de cerfs dans la forêt de Marly.

Pan, touché ! Quatre ans plus tard, les chanteurs à groupies copient Jean-Pierre Treiber en cavale dans les bois et les ados friqués s'arrachent la Chevignon. Le mot « doudoune », inconnu jusque-là, entre dans les foyers et devient presque un verbe du premier groupe : je doudoune, tu doudounes... Les boutiques à la mode sont en rupture de stock et les cours de récré sont séparées en deux. D'un côté ceux qui portent une Chevignon et peuvent mourir en paix. De l'autre, ceux qui combinent un plan pour braquer un fourgon et foncer en boutique s'en payer une ou deux. Car la doudoune coûte cher : 1000 francs, soit 1 574 906 328 euros d'aujourd'hui. A moins d'avoir un papounet dans le top 3 d'Apple, les jeunes traversent l'hiver dans un manteau en polyamide de peau de banane. Mais qu'importe. En quelques semaines, la doudoune Chevignon devient un trophée, comme une tronche de chevreuil au-dessus de la cheminée. « C'est le seul vêtement pour lequel j'ai usé mes parents pendant des mois. Je revenais à la charge tous les matins, au p'tit dej. Ma mère a finalement dit oui. Ou presque. Elle était d'accord pour un sac à dos, mais pas pour une doudoune : trop cher. J'ai fait la gueule mais le samedi d'après, on est allés chez Maxély à Boulogne. C'était l'une des premières boutiques en banlieue parisienne à faire du Chevignon. De retour à l'école, j'étais le roi. Au passage, j'ai demandé à la prof d'anglais ce que ça voulait dire les expressions imprimées sur le sac. Elle m'a répondu "rien !". On pensait que Chevignon était une marque anglaise. En fait, Chevignon avait écrit des mots bidons, les uns à la suite des autres, genre : "Chevignon, For the boys of the fashion of the style of the night".


Les jeunes courent après la doudoune Chevignon comme les fanas du gros gibier après un sanglier dodu. A Noël, les bouquins d'Arthus-Bertrand finissent au vide-ordures et les doudounes s'échangent à la vitesse des Mon Chéri. Et pour ceux dont les dar' refusent de péter leur Plan Epargne pour une fringue de bouseux, il reste la doudoune Naf-Naf. Et finalement, ceux-là s'en sont mieux tirés.


En 1988, le France prend un coup de chevrotine en lisant les récits des premières bandes : 2000 jeunes qui chantent en parlant et fracassent ceux qui habitent du mauvais côté du square. Il y a les ZWK à Chelles et Montfermeil, les Blacks Dragons à Argenteuil et la Défense, les Go Malédiction, les Fights, ou les Requins vicieux d'Ivry et Sartrouville. Les Requins, saoulés de porter les vestes en jean bleu clair de leurs grand-frères, se lancent dans la « dépouille », c'est-à-dire le racket des vêtements. Ils sillonnent les couloirs du métro et coincent les gosses de riches sapés en doudoune Chevignon. Par petits groupes, ils ratissent les lycées, du 16e à Boulogne en passant par Neuilly. « J'étais professeur de Physique-chimie dans un CES de Villeneuve-la-Garenne dans le nord des Hauts-de-Seine. A l'inter-cours, les élèves passaient commande auprès des dépouilleurs. Les dépouilleurs leur disaient : "Compte une semaine." »


« On m'avait prévenu, tout le monde parlait que de ça, la dépouille, la dépouille... J'avais une doudoune jaune, plus longue que celle que l'on connaît. Elle avait une capuche et le canard dans le dos n'était pas le même. C'était pendant les vacances de février, j'allais chez un copain près du Troca. Le mec m'est tombé dessus, m'a poussé contre un mur. J'ai filé ma doudoune. Mes parents m'ont allumé mais m'en ont payé une autre, noire et plus discrète. Cette fois, c'est à la sortie de midi, à Saint-Jean-de-Passy qu'on me l'a tapée, une très bonne adresse pour les dépouilleurs. »


« Je tenais une boutique à Boulogne. J'ai déjà entendu des parents dire à leurs enfants: "Une doudoune Chevignon ? Pour te faire dépouiller, non merci !" »


La doudoune Chevignon s'invite alors à la une des JT et du Chasseur Français : « Madame, Monsieur bonsoir ! Ils rackettent les enfants à la sortie des classes. On les appelle "les dépouilleurs"... » Les plaintes s'accumulent dans les commissariats et les parents d'élèves menacent de faire du tir au pigeon avec les proviseurs. A Boulogne, le maire envoie des rondes de flics à la sortie de 16 heures, mais rien n'y fait. « C'était un week-end, je rejoignais des potes pour aller au ciné, on allait voir Beetlejuice ou un truc comme ça. On s'était donné rendez-vous devant OK Burger, le Mc Do n'existait pas encore. Un mec plus âgé s'approche du groupe et nous demande une cigarette. On lui répond qu'on fume pas, normal, on était en 5e. Ensuite, il me demande s'il peut essayer ma doudoune, juste comme ça, pour voir. Je recule, il me bloque l'épaule et on fonce dans le OK Burger. Le patron a appelé les flics, on a fait une description du gars. Ça nous a fait trop peur. Ma sœur a eu moins de chance. Boulevard Jean-Jaurès, toujours à Boulogne, elle rentrait des cours. Ils l'ont coursée, elle est arrivée devant chez nous, elle a pas eu le temps de faire le code de l'immeuble. Ils l'ont secouée. Plus de doudoune. »


Mais l'hiver, la période de la chasse et la mode passent. Les doudounes sont bazardées dans les stocks d'Emmaüs ou chez les Orphelins d'Auteuil. Les Starters, blousons de base-ball ou de football américain, remplacent les Chevignon dans les cours de lycée et les sorties au bois. Mais quelque chose a changé. Depuis Chevignon, l'habit branché vaut cher. Après la Chevignon, le sweat-shirt Blanc-Bleu, le sac Chapelier, les Jordan : des tarifs de Merco pour des sapes de prolos. « Avant qu'on connaisse Chevignon, une paire de tennis de marque coutait 200 francs. Pas plus. Avec Chevignon, les gens ont commencé à dépenser plus pour s'habiller. Et les marques se sont lachées. Reebok a lancé ses Revenge : 396 francs. A l'époque, c'était dingue ! »


Mais les gens ont lancé des battues pour trouver les godasses. Aujourd'hui, ils en redemandent. Le prix de la doudoune Chevignon, version 2009 ? 450 euros. Un coup de fusil !

09/11, de Jules et Gédéon Naudet

En septembre 2001, deux frères, Jules et Gédéon Naudet, tournent un documentaire sur les pompiers new-yorkais. Le 11 septembre, la caserne qui les héberge est appelée pour une fuite de gaz à deux pas des tours jumelles. Soudain, un avion percute le World Trade Center. C'est l'une des deux seules vidéos connues à ce jour du premier crash. Grâce à leurs images de l'intérieur des tours en feu, leur film, 09/11, a reçu deux Emmy Awards.