samedi 14 août 2010

Paroles de casseurs, par Vincent Martin (article publié dans Brain-Magazine)

On les voit d’habitude en une de Paris-Match ou chez PPDA. Venus des banlieues pauvres ou de la gauche extrême, ils n’aiment pas la police et ses gaz lacrymos. David, Stéphane et Driss sont des casseurs. Chacun pour des raisons différentes.

DRISS
Driss a 18 ans. Originaire de Savigny-sur-Orge dans l’Essonne, il a participé aux violences des manifestations anti-CPE. Il l’avoue : pour casser, pour voler et pour montrer que la banlieue existe.

La banlieue descend à Paris
« Quand tu fais le trajet en RER, faut pas être nombreux : deux ou trois, pas plus, sinon t’es cramé. Ce jour-là, on part vers 14h00. A chaque station, y a des casseurs qui montent. Ils viennent « faire leurs courses » à la manif, ça se voit trop. Moi, je sais pourquoi j’y vais : pour taper et pour me taper avec les schmitts. A St Michel, on se retrouve sur le quai. On est genre 1 000. Je reconnais des mecs de Savigny comme moi, des mecs de Vitry, des mecs d’Ivry… Le but, c’est d’arriver par petits groupes et de se rassembler une fois sur place. On se capte avec les portables, en envoyant des textos. Faut jamais arriver au début de la manif : quinze re-nois ou re-beus avec des capuches, c’est cramé direct. L’idée, c’est de rentrer dans le cortège quand la manif a démarré.

Nous, on décide de rentrer boulevard du Montparnasse. On repère des mecs qui s’éloignent de leurs potes et on les chasse. Quand ils se relèvent, patate. Là, on prend leur portable. Après, faut t’éparpiller dans la foule, jamais rester sur place. On sait jamais. Cinquante mètres plus loin, tu recommences. A ce moment-là, j’ai déjà deux Samsung et un i-Pod. C’est trop facile, le service d’ordre est bidon. Ils ont pris des volontaires, y a même des meufs. Tu les secoues, elles pleurent. A un moment, je vois un mec en train de prendre des photos avec son numérique. Je me cale derrière lui avec deux potes et je lui arrache l’appareil. Là, je sais pas ce qui se passe, il se défend et moi, je glisse sur un truc. Je me retrouve par terre et mes potes lui tombent dessus : boum, grandes claques.»

La police charge
« On arrive à Invalides et c’est chaud déjà. Avant, y avait eu des embrouilles au Sofitel, des voitures cramées et des vitrines qui avaient volé. Les pompiers sont arrivés et ils se sont fait caillasser. Nous, on commence à se rassembler et à caillasser les schmitts. Ils peuvent rien faire parce qu’il y a encore trop d’étudiants. On fait les poubelles et on balance toutes les bouteilles qu’on peut trouver. On commence à péter des grilles, des branches d’arbres et on fait des barricades. Des mecs arrivent avec des jerrycans et on met le feu. Les schmitts s’en prennent plein la tête et tu sens qu’ils sont rageux. Quand ils attrapent un mec, ils se mettent à quatre dessus. Bam, bam, coups de matraques. Le plus chaud, c’est d’esquiver les vil-cis. Ils s’habillent comme des cailles : casquettes New York, baskets, petits sweats à capuche. Y’en a qui y vont au vice, genre bonnets rasta, foulards d’Arafat. Tu jettes un caillou et tu te fais serrer direct.

A 18h00, les CRS nous chargent et là, c’est chaud. Je connais plein de potes qui se sont fait serrer. A la fin, tu voyais les mecs alignés contre un mur, les mains dans le dos avec les pinces. Quand ils chargent, il faut esquiver les arbres et les bancs. Ça court dans tous les sens mais dès qu’on peut niquer un schmitt, on le fait. Va voir les images sur Dailymotion, tu vas halluciner. Dès qu’un flic sort du troupeau, on le défonce. Ils se chient dessus, ça se voit. On dirait qu’ils ont pas d’ordres, qu’ils sont perdus : ils avancent, ils reculent, ils servent à rien. Dès qu’ils balancent des lacrymos, on les renvoie vers eux avec un grand coup de pied. Ils savent qu’on est trop nombreux et qu’on a trop la dalle. On montre qu’on est là, qu’on existe et qu’on nique tout. On nous a trop longtemps oublié.»

STEPHANE
Nous l’appellerons Stéphane. Sous le coup d’une peine de prison avec sursis, il préfère garder l’anonymat. Membre d’un groupuscule d’extrême gauche, il occupe son temps entre la fac et le collage d’affiches. Mais aussi la castagne.

Les préparatifs
« Une heure avant la manif, le mieux, c’est de prendre des comprimés genre Rumicine. C’est contre les lacrymos. Tu trouves ça en pharmacie, sans ordonnance. Si tu te retrouves au milieu des lacrymos, couvre-toi le nez et la bouche avec un masque que t’as préparé chez toi, avec un coton trempé dans l’eau bicarbonatée. Tu peux aussi prendre du jus de citron sur un coton ou de l’œuf et du vinaigre. Si jamais t’es gazé, mets surtout pas d’eau, ça va brûler encore plus. Prends de la Polarmine en sirop.

Viens jamais dans une manif qui va dégénérer les mains dans les poches : mets un casque, un protège-dents - celle-là, je l’ai perdue au 1er mai quand on s’est tapé avec les mecs du FN. Mets plusieurs pulls les uns par-dessus les autres pour amortir les coups et prévois une petite matraque. Ça peut aller du simple manche à balai scié jusqu’à la matraque télescopique : elle tient dans la poche et elle se déplie quand tu la sors. En revanche, si tu te fais serrer avec ça, tu finis au poste. Et puis fais pas comme les branleurs de 15 ans qui veulent se la raconter devant les flics : sweat-shirt à capuche et écharpe. Faut pas qu’on voie ta tête. Aujourd’hui, les flics te filment dans les manifs. Si tu balances une pierre sur un CRS et que la caméra te filme, t’as deux OPJ qui viennent frapper à ta porte le lendemain matin 6h00 pour passer en comparution immédiate.»

Une cause à défendre
« Après, ça dépend de jusqu’où tu veux aller. Moi je pense qu’on ne fait pas la révolution avec des manifs ou des tracts. Tu veux que ça change ? Prends les armes, c’est tout. Je sais que c’est un discours extrême mais c’est comme ça que je vois les choses. Voilà ce que je pense : Lis : « L’intensité d’une telle réplique donnera la mesure de notre capacité future à répondre coup pour coup à ses offensives. Si un embrasement des banlieues est prévu et prévisible, il ne pourra tenir qu’en se trouvant, cette fois-ci, relayé jusqu’au coeur de la métropole.» Je n’aime pas le pouvoir ni aucun de ses symboles : état, flics, juges, journalistes, curés. Pour y arriver, il faut casser le système en place. Je serai toujours dans les manifs où je pourrai casser du flic. Je suis un casseur et j’en suis fier. Un casseur de tout le système en place, de toutes les injustices, de toute la répression. J’emmerde les caméras de surveillance et tous ceux qui veulent nous fliquer. Si tu me demandes si j’ai déjà balancé un cocktail molotov, je te réponds oui. Un conseil: jette toujours ton cocktail sur le côté. J’ai vu des mecs le bras ou le dos en feu parce qu’au moment de lancer, l’essence s’est renversée sur eux.»

DAVID
David est Juif. A 27 ans, il est pratiquant sans être orthodoxe. Mais quand les Juifs de France sont menacés, il n’hésite pas, il manifeste. Et cogne.

La manifestation
« Ça montait depuis plusieurs semaines. Des synagogues brûlaient, des slogans antisémites arrivaient sur les murs. La veille de la manif, 30 000 mecs avaient défilé à Paris pour soutenir les Palestiniens. J’ai rien contre. Sauf que certains ont commencé à brûler des drapeaux d’Israël ou à montrer des pancartes avec écrit « Juifs = croix gammée ». On a vu les images au 20h00 et on s’est tous envoyé des textos pour se chauffer. Ça a duré jusqu’à 3h00 du mat’, non-stop. On voulait tous se venger et montrer qu’on allait pas se laisser faire. Fallait de la casse et fallait que ça se voie.

Le lendemain, le 7 avril, on se retrouve tous à République. Avant le départ du cortège vers Bastille, il y avait eu quelques petites embrouilles, mais rien de méchant grâce au service d’ordre. Moi, tout de suite, je marche en tête de cortège, avec les mecs de la L.D.J., la Ligue de Défense Juive. Je suis pas d’accord avec leurs idées, mais quand il faut se taper, ils sont carrément là. Derrière nous, 200 000 personnes défilent avec des drapeaux d’Israël et des banderoles. Y a des people, des hommes politiques…

Au fur et à mesure qu’on se rapproche de Bastille, on sent la tension qui monte. Aux balcons, des mecs nous font des doigts d’honneur, on les siffle et on répond. Dans les rues parallèles aux Filles du Calvaire, on sait qu’il y a des frappes. Des jeunes Juifs reviennent en sang. Arrivés à Bastille, ça fritte avec les journalistes de LCI et de France 2. Ils sont chahutés. Des manifestants attrapent les appareils photos et les écrasent au sol. Là, les organisateurs de la manif appellent à se disperser, dans le calme. Mais on est trop chauds, ça peut pas se finir comme ça, on veut que ça parte en couille. Et les flics le sentent. Ils demandent aux cafés de ranger leur terrasse et de fermer boutique.»

Ça se tape à Bastille
« Et tout d’un coup, on entend des cris et on sait qu’il y a de la tape. Ce bruit-là, on le connaît par cœur. On l’a déjà entendu dans le Marais une semaine avant. On fonce vers la rue de la Roquette où ça tape dans tous les sens. Je baisse la visière de mon casque et je ramasse une bouteille par terre. Au début de la rue de la Roquette, on est une trentaine et on se retrouve nez à nez avec des pro-Palestiniens qui agitent des drapeaux du Hezbollah, un groupe terroriste. Ça charge. J’en vois un de ma taille à côté du grec, avec un keffieh sur le visage. Je cavale et je lui mets un grand chassé. Il tombe sur le trottoir et je lui mets un coup de pied dans la tête. J’ai senti son nez exploser sous ma chaussure. Je vois d’autres mecs arriver vers nous, de Léon Blum. Des mecs plus âgés et plus costauds. J’entends : « Ils ont des couteaux, ils ont des couteaux ! ». On se replie vers la Bastille et quelques mecs sont retranchés dans le café qui fait l’angle. Des Juifs descendent les vitrines et chargent à l’intérieur. Les CRS interviennent et tout le monde finit dans les gaz lacrymos. Je sais que ce jour-là, un commissaire de police a été poignardé. Il a passé plusieurs jours à l’hôpital.»

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