mercredi 4 août 2010

Le Pen - Et Maintenant, que Vais-Je Faire... par Vincent Martin (publié dans Brain Magazine)

Après 54 ans passés en politique, Jean-Marie Le Pen prend sa retraite. Fondateur du FN, il laisse derrière lui le « détail de l'histoire », des calembours de fin de banquet et un deuxième tour à l’élection présidentielle de 2002. Mais à part ça, qui sait qu'il chante du Marc Lavoine quand il a forcé sur la tise, qu'il fait fabriquer ses chaussures à Hong-Kong et qu'il regrette de ne pas avoir été interviewé par 30 millions d'amis? C'est ce que montre J.M.L.P, un documentaire de 52 minutes tourné par deux jeunes journalistes, Vincent Martin et Benjamin Cotto. Caméra au poing, ils ont suivi le « Président » pendant la campagne européenne de 2009. En exclu pour Brain, ils racontent leurs six mois passés avec Jean-Marie.

« Monsieur Le Pen vous recevra au parc de Montretout, à St Cloud, dans ses bureaux privés. Vous avez l'adresse? OK. Je vous donne le code de la grille. Ensuite, vous sonnez à... » Janvier 2009, 17h00, il fait 0° et presque nuit. On gare l'Audi devant le manoir de J.-M.: 430m2, onze pièces, un jardin de 5 000m2, MTV Cribs, t'as vu? C'est surtout l'héritage d'un militant du Front qui voyait en Le Pen le sauveur de la France. Loupé. Les deux voitures du « Président », une 605 et une C6, noires, vitres teintées, toutes options, sont garées sur le parvis. L'une des plaques se termine par « … FN 92 ». On sonne. Derrière la grille et les arbres, on aperçoit des pièces allumées. On re-sonne. Une employée de maison nous ouvre. Elle est polonaise et tire un gros chien beige par le collier. Avec un fort accent, elle nous dit qu'au pays, ses parents sont bloqués par la neige. « Chez moi, les écoles sont fermées. »

Le directeur de la com' nous accueille et nous présente le chat, Radio Courtoisie en fond sonore. On monte le grand escalier en bois où sont accrochés deux mille portraits du chef: Le Pen en para, Le Pen en pirate, Le Pen en patron pécheur, c'est le catalogue Big Jim ou quoi? « Ce sont des cadeaux des militants offerts au Président. On a une pièce en bas qu'on appelle « le salon des horreurs »: cinquante ans de cadeaux de supporters du FN qu'on entasse parce qu'on a pas le cœur de les balancer. Là, c'est un coquillage breton peint à la main, signé par un fan de M. Le Pen. » On croise le chauffeur de J.-M. et on entre dans le bureau qui voit sur tout Paris, au moins jusqu'à Poitiers. Dans son fauteuil, Le Pen chante: « Comme famille on n'a qu'une marraine, quelque part en Lorraine, et c'est loin... » What? C'est du Ferrat. Jean-Marie pose un enregistreur sur la table basse pour garder une trace et attaquer les journalistes qui déforment ce qu'il dit. L'interview commence devant la cheminée, les statues de Jeanne d'Arc et le casque d'un scaphandrier. Le secret de sa patate? « Tous les matins, cent vingt abdominaux, quarante pompes et des exercices de stretching, comme on dit maintenant ». Vous aimez les bêtes? « J'ai un briard et un chat, ici à Montretout, et un doberman, mais qui reste dehors. L'autre est mort il y a quelques temps. Et chez ma femme, j'ai deux chiens ,des Ibizenko, un chat, des poissons dans un bassin, des oiseaux, des grenouilles qu'on rapporte du Midi dans des boites à chaussures... Et des hérissons. Mais allez savoir pourquoi, malgré les murs et les grilles, ils s'échappent. J'ai même eu un rat. Et un berger allemand. Mais il n'est pas resté, il ne s'est pas plu chez nous... Avec ça, je ne comprends pas pourquoi l'émission 30 millions d'amis n'a jamais voulu filmer chez moi. Pourtant, j'ai déjà vu des épisodes avec des hommes politiques. » Son Motorola sonne. Il raccroche.

« Ma femme me dit: « Tu n'es pas à la mode! » Mais c'est moi qui fait la mode alors par conséquent, je suis à la mode ». Ji-hème porte un costume bleu italien, demi-mesure, de chez Bonucci à Nice, une chemise blanche, une cravate or Hermès et la pochette qui va bien. « Avant, je faisais fabriquer mes chaussures à Hong-Kong. Là, regardez mes mocassins. C'est du lézard. Ici, ça vaut une fortune. » On lui rappelle le sapin de Noël encore décoré, dans le salon du bas. « Contrairement à ce qu'on pourrait croire, je ne suis pas un grand-père gâteau. J'ai neuf petits-enfants, j'aime les voir, j'aime leur faire un câlin de temps en temps, mais j'aime aussi qu'ils restent à leur place et sous la surveillance de leurs parents. Et je n'aime pas, non plus, cette mode de couvrir les enfants de cadeaux somptueux à Noël. Moi, je leur lâche une planche de timbres, une médaille militaire... J'ai ramené des blue-jeans brodés de mon dernier voyage, pour mes petites-filles. »

Sur les étagères de la bibliothèque, Le Pen fait défiler sa collec' de pin's: un en forme de coup de pied au cul « On ne retient personne », des fédérations locales du FN, la flamme bleu-blanc-rouge et même un pin's de la coupe du monde de foot 94, aux USA. Il fouille entre les livres et les statuettes en plâtre. « Alors ça, c'est une médaille des J.O. d'Athènes. Un jour, je suis à l'aéroport d'Athènes et je suis abordé par un garçon. Il me dit: « Président, je suis marocain, légionnaire, j'ai fini troisième au marathon et j'aimerais vous donner ma médaille. C'est drôle... » Le Pen scrute l'horizon avec une longue-vue posée devant la fenêtre du bureau. « Parfois, je joue à Fenêtre sur cour et je regarde les bureaux d'en face. Mais je dois le dire, je n'ai eu qu'une seule bonne surprise. Une, en trente ans, c'est peu. » Il rit très fort parce qu'il adore cette vanne. L'interview s'arrête et Le Pen nous propose d'appeler un taxi. On répond qu'on est en voiture. « Ek so bikeut! » Il répète souvent ça mais on n'a jamais compris ce que ça voulait dire.

L'élection européenne a lieu le 7 juin 2009. Début févier, le chef du Front part en tournée dans sa circonscription du sud-est. En 2004, Le Pen avait raflé un siège au Parlement, le sien. 8H30, Jean-Marie arrive à l'enregistrement d'Air France dans un grand manteau noir, suivi par son garde du corps même-pas-tu-blagues-avec-lui. Le Pen nous salue, vite fait, et aucun voyageur ne remarque le big boss du FN. Au portique, l'alarme sonne et Le Pen s'énerve contre son bodyguard. « C'est ton arme qui sonne, pose-là! » Des employés d'Orly rappliquent. « Un garde du corps a le droit de porter une arme, y'a que le commandant de bord qui peut s'y opposer! » Le pilote accepte, bienvenue à bord, Dirty Harry. Le Pen est assis au premier rang de l'Airbus et s'endort. 10H05, l'avion se pose à Toulon. Son service d'ordre l'attend sur le parking. Le cortège démarre, grille les feux, change de file et fait crisser les pneus. « On est pas des pédés! »

Le convoi se gare devant un restaurant, Le Nationale 8, un boui-boui chelou en banlieue toulonnaise. Au menu, galettes des rois, brioches provençales et jus d'orange à gogo. Le Pen fait son entrée et les trois cents militants font péter les Pola. Les serveuses portent des parts aux membres du service d'ordre. « Et comme de bien entendu, qui a eu la fève? Le président du Front National, Jean-Marie Le Pen, déclaré roi de cette soirée! » Le Pen se lève mais ne reconnaît pas la fève: « Je suis le roi! C'est joli, qu'est-ce que c'est? » « Une botte, Monsieur le Président. » Le leader du FN enfile sa couronne et chez les militants, c'est la finale de la Champion's league. Jean-Marie prend alors le micro et refait ses meilleurs sketchs, debout pendant une heure et demie, au milieu du public: « les Roumains et leurs allocs », la Seine St Denis qui ressemble au Kosovo, la crise économique, les promesses du « bon Docteur Sarkozy »... et l'immigration: « Ti vois mon fils, çi coum ça qu'ils travailli li paysons fronçais! » Gerra for ever. Sans louper la vanne du week-end: « Si ça continue comme ça, Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille, il va bientôt s'appeler « Ben Gaudin. » Pouet. Retour en train.

« Vous avez trouvé facilement ? Jean-Marie arrive, il est avec des amis. Vous voulez du gâteau? » Le patron du FN habite dans les Hauts-de-Seine, à Rueil-Malmaison, dans une maison ancienne avec terrasse, piscine, pelouse coupée en brosse, dépendances et au milieu coule une rivière. Il est encore à table et chante « … à la santé du Roy de France, et merde au roi d'Angleterre, qui nous a déclaré la guerre... » Le Pen arrive et sa femme lui plaque les cheveux en arrière avec de la bave. « La fresque là-bas sur le mur, c'est notre chien adoré, Iamos. Il a d'ailleurs sa tombe, là, derrière. » Can you repeat? Le chien des Le Pen est enterré dans le jardin, sous une plaque de marbre, à côté du refuge à oiseaux. « On l'adorait, c'était un chien... royal, un Ibizenko! » Jany dit à Ji-hème de faire attention où il met les pieds parce que les chiens qui restent ont miné le terrain. Elle attrape un sac plastique et ramasse les crottes. Le Pen lance une balle de tennis à un clebs. « Vous savez, les Français ne savent pas la chance qu'ils ont d'être en France. Et j'ai peur qu'ils ne s'en aperçoivent que quand ils l'auront perdue... » Le chien rapporte. « Ce qui me gêne, c'est qu'on s'attaque à ma personne, que les gens ne connaissent pas dans le fond. J'ai été érigé « Grand méchant loup de la politique française. » Mais vous savez, les Français sont assez décervelés. Sinon, comment expliquer que le peuple qui se dit le plus intelligent de la Terre, se soit mobilisé contre moi, de cette façon, entre les deux tours de la Présidentielle? » Il nous présente un ami, un ancien explorateur en blouson léopard, assis dehors, à l'élocution difficile après un A.V.C. « Quand je me suis réveillé à l'hôpital, le premier visage que j'ai vu, c'était celui de Jean-Marie. C'est une amitié intrahissable! » Le Pen caresse les cheveux de son pote et tente de lui faire comprendre qu'il est en train de se taper la bife. Mais l'autre continue: « Intrahissable! » Le Pen ouvre la porte vitrée et nous fait rentrer au salon: « Alors ici, c'est l'Afrique, avec ma collection de statues et de masques africains! Là, c'est le bar en verre et là c'est moi. », c'est-à-dire une photo de lui quand il faisait de la planche à voile en maillot arc-en-ciel. « C'est le petit chat, ça oui, c'est le petit chat... » Il monte à l'étage se tient aux murs et s'arrête devant le dressing de P. Diddy: deux mille cravates, godasses et chemises classées par couleur, comme si un vendeur d'American Apparel habitait là l'année. « Oh, je ne vais guère dans les magasins, c'est le personnel qui s'en charge, ou Jany. » La visite continue. « Ca, c'est un bâton de pluie, c'est un chef indien qui me l'a offert! » Pendant dix minutes, Le Pen agite son bâton de pluie pour comprendre d'où vient le bruit. Ding-dong. « Ah, je crois qu'on sonne à la grille du parc, je vais ouvrir. » C'est Marine, sa fille, des chiots plein les bras. « Vous auriez dû prévenir, je me serais habillée. » Là, elle porte un treillis.

Plus qu'un mois avant les élections. Le Pen court les meetings, parle de la torture à Dimanche +, est pris à partie par une concierge reu-beu à Marseille, fête le 1er mai avec « les Français qui aiment le cochon » et mate Susan Boyle sur Youtube, sous l'œil de notre caméra. Ce matin, il a rendez-vous au Bourget, à l'aube, pour embarquer dans un avion privé, kawa et mini viennoiseries en veux-tu en voilà. C'est un lendemain de finale de Coupe de France et Le Pen lit la une de L'Equipe. Guingamp a gagné, c'est écrit en breton. « Je vais la garder celle-là, je suis breton vous savez. » Le commandant accueille J.-M et son garde du corps et le Falcon décolle. « On a le vent dans le cul, non? » Au programme du week-end: l'Ardèche, l'Isère, la Drôme et Marseille, conférences de presse dans des hôtels merdiques, dîners avec des militants qui auraient pu jouer dans Délivrance et banquets patriotiques, histoire de rappeler qu'il serait temps qu'un sang impur abreuve nos sillons, tsoin-tsoin-tsoin. Le Pen se confie: « L'autre jour, je prends le train et j'entends un homme qui se vante de ce qu'il a fait en Algérie pendant la guerre. Je vais le voir, il me reconnaît, il est content. Là, je lui demande le nom de la région où il a fait la guerre. L'endroit ne me dit rien, bizarre. Bon. Je lui demande le nom de son commandant, il me dit qu'il s'en rappelle plus. Impossible! Je l'ai foutu dehors du compartiment à coups de pied, dis donc. C'était un charlatan! Ce type, c'est une merde, un sous-homme! »

Il est minuit et demi, le meeting est fini. Le Pen retourne à son avion privé pour aller dormir dans un quatre étoiles à Marignane. Dans le jet, il a la che-pê, tombe la cravate, réclame du champagne et chante avec ses assoces: « Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux? Le Pen! Le Pen! Tu te rappelles, on chantait ça en 2002! » Le garde du corps trouve une autre bouteille et Le Pen envoie: « A la santé du petit conduit, par où Margot fait pipi! » Pendant que son directeur de campagne débouche la Taittinger, Le Pen s'attaque à Marc Lavoine, comme il peut: « Elle a les yeux revolver, elle a le sourire qui tue... » Chacun raconte sa guerre, la présidentielle contre Chirac. « Moi, après le premier tour, j'ai chialé comme un gosse et ensuite, je suis allé me saouler la gueule, Président! » « Moi, c'est Michelle Cotta qui m'a appelé. A l'époque, c'était la patronne de France-Télévision. Elle m'a dit, c'est bon, faites la bise au Président de ma part, c'est bon! » Mais la meilleure est pour Le Pen: « Tu te rappelles, je t'ai dit: « Profite, ça va pas durer. » A ce moment-là, au deuxième tour, tu n'as que des ennemis dans les bureaux de vote. Tu n'as aucune garantie de sérieux. » Et Le Pen imite un gars qui bourre les urnes. L'avion se pose. A demain? « Tomowo iz eunozeu day » répond Le Pen.

« On a pas le droit de vous le dire, c'est une surprise! » Sur le mail, c'est écrit « Visite en car d'un lieu symbolique. » Retour à Nanterre, au siège du FN, rue des Suisses, à vingt minutes à pied du RER. C'est l'immeuble d'une ancienne entreprise de sécurité. A l'entrée, la boutique de souvenirs est ouverte: cartes postales « Inch' Allah », T. Shirts « Bon voyage mon pote » et caleçons avec la flamme du Front imprimée sur la teub. Dans les couloirs, le service de la com' a patafixé les affiches de campagne, les unes des magazines et les photos des stars que Le Pen a croisées: Reagan, Prost, le Pape...

Le car attend les ténors du FN dans une avenue plus bas. Jean-Marie ouvre la marche et râle: « On leur avait pourtant dit de pas coller des autocollants FN dans le quartier. C'est vrai que c'est plus facile ici qu'à Aubervilliers. » Un camion de poubelles descend la rue et deux éboueurs noirs accrochés derrière lui font salut de la main avec un grand sourire. « Vous voyez, vous voulez pas le croire, mais c'est vrai! » Le car avance sur le périph' et Le Pen raconte le clash entre Cohn-Bendit et Bayrou, la veille, sur « Antenne 2 »: « Saint Dany a été agressé! Si un homme politique a plus le droit de branler les petits garçons pour leur montrer ce que c'est que le plaisir... on est en République ou pas? » On ne sait toujours pas où on va et Le Pen chante Brassens: « Les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics, bancs publics... » Le car est arrivé. Le lieu symbolique, c'est le parc Astérix. Le service d'ordre porte des casques à cornes et des nattes rousses mais bizarrement, personne ne veut les tester. Le Pen est ravi et commence son discours sous le menhir du parc: « Tous? Non, car un parti politique peuplé d'irréductibles gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur... » J.-M. félicite le mec de la com' qui a écrit le texte et remonte dans le car avant d'imiter la corne de brume avec sa main: « Poooooooh. »

7 juin 2009. Le Pen vote à St Cloud, se trompe de bulletin, arrache des feuilles scotchées sur le présentoir, ne trouve pas l'isoloir et choisit finalement celui réservé aux handicapés. « Jean-Marie Louis Le Pen. A voté! » Quelques heures plus tard, grande soirée au siège du Front. Les camions de TF1, France 2 et BFM TV sont garés sur le trottoir. Dans son bureau, Jean-Marie se fait maquiller par une grande blonde, tête en arrière, Kleenex sur le blazer et fond de teint sur les cernes. Dans quelques secondes, il va commenter les scores de son parti sur TF1, à la sortie des urnes. Le FN perd trois sièges au Parlement de Strasbourg et ça le rend ouf. « J'ai l'habitude des soirées électorales, je sais comme elles peuvent être manipulées... » L'interview se termine, Chazal dit merci et le technicien défait le micro. « Déshabillez moiii... » chante Le Pen. Il retourne à la soirée et commente les résultats avec les autres, autour du buffet. « Elle est bonne la viande froide. Il vous reste du Poilâne? » Son téléphone sonne, c'est Marine, qui doit passer à la télé bientôt. Consignes: « Tu défonces aussi les instituts de sondage, « Opinion-Sarkoway... » » Minuit. Le Pen retrouve le sourire et rentre chez lui, à Malmaison. Il chante Bécaud. « Et maintenant, que vais-je faire, maintenant, que sera ma vie... »

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