lundi 25 octobre 2010

Au nom du Père, du Fils et du St Diego (Article paru dans Brain-Magazine)

Après les Raéliens et leurs hallus extraterrestres, une autre secte enrôle chaque jour de nouveaux membres. L'Iglesio maradoniana, l'Église maradonienne, rassemble cent mille adeptes à travers le monde. Quand certains passent leurs soirées sur YouPorn, les Maradoniens, eux, matent en scred les pralines du Pibe de or et terminent toutes leurs phrases par « Diego ».

« Notre Diego qui est sur les terrains, que ton pied gauche soit béni, que ta magie ouvre nos yeux, fais-nous souvenir de tes buts, sur la Terre comme au Ciel... » Dans son F2 décoré par Leader Price, Ignacio récite le Diego nuestro avant d'embrasser l'une de ses statuettes en cire à l'effigie du joueur. Celle d'aujourd'hui est un peu fondue à cause de la chaleur et Maradona à l'air de Ribéry après son accident. A 37 ans, Ignacio fait le concierge dans une école de Pompei, la banlieue de Buenos Aires. Zéro meuf, zéro cash, mais une passion, Diego Armando Maradona, le plus grand joueur de tous les temps après Julien Serfaty, un copain d'enfance qui ressemble à l'attaquant comme deux gouttes d'eau bénite: « Ma religion, c'est le football. Et dans toute religion, il y a un dieu. Mon Ancien testament, c'est ça! » Des centaines de VHS et DVD sur les étagères de son salon, Choisissez-bien-choisissez-But,les cinq cent quatre-vingt huit buts en club, la conférence de presse à Barcelone, la super coupe d'Italie... Le parrain, Camping 2, ça te parle? « Quand je me sens mal, je tire une vidéo, au hasard. D'un coup, tous mes problèmes s'envolent! Quand j'étais plus jeune, j'étais héroïnomane. Ça ressemble à ça, en beaucoup plus fort et beaucoup plus sain. » Beaucoup plus sain?

Aujourd'hui, Ignacio a pris sa journée pour filmer le mariage d'un de ses voisins à Rosario, à 300 bornes de là. « Au début, sa femme n'était pas d'accord pour faire ça dans l'Église de Diego. Elle voulait bien tapisser la salle de banquet avec des rideaux ciel et blancs mais elle voulait aussi un mariage traditionnel. Alors, je suis venu chez eux trois soirs par semaine, pendant un mois, après mon travail à l'école. Je restais le temps de boire un café et d'expliquer notre foi. Pendant ce temps-là, son futur époux montrait les buts d'el Diez sur internet. Je lui disais qu'il fallait croire en quelque chose... Tu sais, depuis la crise en Argentine en 2002, il faut bien se raccrocher à quelque chose. Finalement, elle a cédé. »

Ignacio débranche le chargeur de batterie de son caméscope et descend au parking. Le tableau de bord de sa voiture ressemble au jeu « Qui est-ce? », avec toutes ces images de l'attaquant collées debout les unes à côté des autres. « J'ai fait plastifier cette photo de Diego sous le maillot du Napoli. Elle date de la première année du sacre en Série A, en 87. J'avais un correspondant en Italie, il me l'a faite dédicacer... Elle n'a pas de prix. J'en ai une autre que je garde dans mon portefeuille. Elle est un peu plus vieille, c'était à son passage à Boca Juniors. Et puis celle-ci, que je porte autour du cou, regarde. » Wallah hadim, la photo du numéro 10 est gravée au laser sur un pendentif en or et je suis à deux doigts d'ouvrir la portière pour descendre en marche. « J'aime avoir des photos de Diego dans ma voiture, pour me porter chance. Au volant, je sais qu'il ne m'arrivera rien, il est plus fort que Saint Christophe, le saint patron des voyageurs. » Ignacio bombarde et me raconte l'histoire de son Église. Les Maradoniens existent depuis douze ans grâce à deux journalistes argentins qui ont lancé l'event. Aujourd'hui, ils sont cent mille dans soixante pays du monde, en Argentine, en Espagne, au Japon... Et parmi eux, Messi, Kusturica, Owen, Deco, Tevez ou Lineker. Et quand l'un d'eux convoite la femme de son voisin de vestiaire, il récite deux-trois Diego nuestro.

Il y a deux fêtes juste inratables chez les adeptes: le Noël maradonien d'abord, tous les 29 octobre. Là, pas d'étable, de bœuf ou de Rois Mages, les mabouls de Pelusa célèbrent la naissance de Diego à Lanus en Argentine. J'essaye d'expliquer à Ignacio ce que veut dire « l'anus » en Français mais ça ne le fait pas marrer. Puis la Pâques maradonienne, tous les 22 juin: « C'est en mémoire du match Argentine-Angleterre en coupe du monde à Mexico, en 86 ». Je m'étouffe avec mon Lu Petit déjeuner et lui fais répéter. « Ce match, c'est comme un passage de la Bible, il y a à la fois le but du siècle et la main de dieu. »

Devant la MJC, les photographes et les amis des mariés attendent l'ouverture de l'église. Le « temple » comme ils l'appellent, est construit sur un terrain de foot sur lequel a joué l'idole en 93 chez les Newell's Old Boys, le club de Rosario. Total, Ignacio arrache quelques brins d'herbe qu'il enferme dans une boite de cotons-tiges. Le premier mariage, c'était en 2007 à Colon en Argentine. Depuis, la nouvelle s'est répandue et les adeptes arrivent de toute l'Amérique du Sud pour se jurer fidélité sous la tronche de Diego, symbolisée par un ballon de foot et une couronne d'épines. Un curé en soutane blanche me souhaite une bonne année 50 et je me dis qu'il a forcé sur les redifs de Retour vers le futur. Ignacio zoome sur l'entrée de la salle et m'explique: « Nous vivons selon un calendrier maradonien. Nous sommes donc en 50 DD. » 50 despues Diego... Allo, Europe assistance?

Les portes s'ouvrent. Les mariés se tiennent la main et slaloment entre les fauteuils en plastique. Les murs du temple sont patafixés de posters de Diego et décorés par des statues en plâtre à la bouche de travers et à l'œil qui dit merde à l'autre. Dans les coins, des plasmas géants passent en boucle les buts du sélectionneur de l'Argentine. Le curé prend un micro et l'office commence. La mariée est en blanc et son mec porte une veste noire que les designers de Delaveine n'auraient jamais osé sortir, avec un numéro 10 imprimé dans le dos. Les mariés s'agenouillent devant l'autel, la paire de Puma du dieu comme témoin. On voit même une petite église de poupée, en bois peint. A la place de la cloche, les fidèles ont accroché un ballon de baby-foot, astucieux, non?

Les Maradoniens récitent alors les dix commandements de leur Église. Fichier-enregistrer-nouveau document: « 1) Le ballon ne se salit pas ». A Urban, d'accord, mais sur un vrai terrain? « Chut! » Commandement n°5: « Répands les miracles de Diego dans tous l'univers ». J'y vais comment? En Vélib? « Re-chut! » « 9) Donne comme second prénom « Diego » à toi même et tes enfants. » Moué. Puis le curé reprend la parole: « Que les hommes ne séparent jamais ceux que le dieu du football a unis. Diego! » Ah oui, les Maradoniens terminent toutes leurs prières par « Diego! », vu qu' « Amen! » est déjà pris et déposé.

Ce jour-là, dieu n'est pas là mais « D10S », comme ils l'écrivent au dessus des portes de l'église, a voulu faire un coucou aux mariés. Son message divin est scotché sur le mur: c'est un 21x29,7 standard, imprimé à partir d'une boite mail. La salle applaudit les mariés et entonne un chant de supporters dans une ambiance de merguez-frites. Au même moment, Ignacio négocie avec le prêtre pour partir avec une copie du mail de Maradona. Tu t'arrêtes jamais? Bon, j'avoue, j'en ai demandé une aussi. C'est Maradona quand même. « Die-go Santo Marado-naaaaa... »

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