lundi 25 octobre 2010

Au nom du Père, du Fils et du St Diego (Article paru dans Brain-Magazine)

Après les Raéliens et leurs hallus extraterrestres, une autre secte enrôle chaque jour de nouveaux membres. L'Iglesio maradoniana, l'Église maradonienne, rassemble cent mille adeptes à travers le monde. Quand certains passent leurs soirées sur YouPorn, les Maradoniens, eux, matent en scred les pralines du Pibe de or et terminent toutes leurs phrases par « Diego ».

« Notre Diego qui est sur les terrains, que ton pied gauche soit béni, que ta magie ouvre nos yeux, fais-nous souvenir de tes buts, sur la Terre comme au Ciel... » Dans son F2 décoré par Leader Price, Ignacio récite le Diego nuestro avant d'embrasser l'une de ses statuettes en cire à l'effigie du joueur. Celle d'aujourd'hui est un peu fondue à cause de la chaleur et Maradona à l'air de Ribéry après son accident. A 37 ans, Ignacio fait le concierge dans une école de Pompei, la banlieue de Buenos Aires. Zéro meuf, zéro cash, mais une passion, Diego Armando Maradona, le plus grand joueur de tous les temps après Julien Serfaty, un copain d'enfance qui ressemble à l'attaquant comme deux gouttes d'eau bénite: « Ma religion, c'est le football. Et dans toute religion, il y a un dieu. Mon Ancien testament, c'est ça! » Des centaines de VHS et DVD sur les étagères de son salon, Choisissez-bien-choisissez-But,les cinq cent quatre-vingt huit buts en club, la conférence de presse à Barcelone, la super coupe d'Italie... Le parrain, Camping 2, ça te parle? « Quand je me sens mal, je tire une vidéo, au hasard. D'un coup, tous mes problèmes s'envolent! Quand j'étais plus jeune, j'étais héroïnomane. Ça ressemble à ça, en beaucoup plus fort et beaucoup plus sain. » Beaucoup plus sain?

Aujourd'hui, Ignacio a pris sa journée pour filmer le mariage d'un de ses voisins à Rosario, à 300 bornes de là. « Au début, sa femme n'était pas d'accord pour faire ça dans l'Église de Diego. Elle voulait bien tapisser la salle de banquet avec des rideaux ciel et blancs mais elle voulait aussi un mariage traditionnel. Alors, je suis venu chez eux trois soirs par semaine, pendant un mois, après mon travail à l'école. Je restais le temps de boire un café et d'expliquer notre foi. Pendant ce temps-là, son futur époux montrait les buts d'el Diez sur internet. Je lui disais qu'il fallait croire en quelque chose... Tu sais, depuis la crise en Argentine en 2002, il faut bien se raccrocher à quelque chose. Finalement, elle a cédé. »

Ignacio débranche le chargeur de batterie de son caméscope et descend au parking. Le tableau de bord de sa voiture ressemble au jeu « Qui est-ce? », avec toutes ces images de l'attaquant collées debout les unes à côté des autres. « J'ai fait plastifier cette photo de Diego sous le maillot du Napoli. Elle date de la première année du sacre en Série A, en 87. J'avais un correspondant en Italie, il me l'a faite dédicacer... Elle n'a pas de prix. J'en ai une autre que je garde dans mon portefeuille. Elle est un peu plus vieille, c'était à son passage à Boca Juniors. Et puis celle-ci, que je porte autour du cou, regarde. » Wallah hadim, la photo du numéro 10 est gravée au laser sur un pendentif en or et je suis à deux doigts d'ouvrir la portière pour descendre en marche. « J'aime avoir des photos de Diego dans ma voiture, pour me porter chance. Au volant, je sais qu'il ne m'arrivera rien, il est plus fort que Saint Christophe, le saint patron des voyageurs. » Ignacio bombarde et me raconte l'histoire de son Église. Les Maradoniens existent depuis douze ans grâce à deux journalistes argentins qui ont lancé l'event. Aujourd'hui, ils sont cent mille dans soixante pays du monde, en Argentine, en Espagne, au Japon... Et parmi eux, Messi, Kusturica, Owen, Deco, Tevez ou Lineker. Et quand l'un d'eux convoite la femme de son voisin de vestiaire, il récite deux-trois Diego nuestro.

Il y a deux fêtes juste inratables chez les adeptes: le Noël maradonien d'abord, tous les 29 octobre. Là, pas d'étable, de bœuf ou de Rois Mages, les mabouls de Pelusa célèbrent la naissance de Diego à Lanus en Argentine. J'essaye d'expliquer à Ignacio ce que veut dire « l'anus » en Français mais ça ne le fait pas marrer. Puis la Pâques maradonienne, tous les 22 juin: « C'est en mémoire du match Argentine-Angleterre en coupe du monde à Mexico, en 86 ». Je m'étouffe avec mon Lu Petit déjeuner et lui fais répéter. « Ce match, c'est comme un passage de la Bible, il y a à la fois le but du siècle et la main de dieu. »

Devant la MJC, les photographes et les amis des mariés attendent l'ouverture de l'église. Le « temple » comme ils l'appellent, est construit sur un terrain de foot sur lequel a joué l'idole en 93 chez les Newell's Old Boys, le club de Rosario. Total, Ignacio arrache quelques brins d'herbe qu'il enferme dans une boite de cotons-tiges. Le premier mariage, c'était en 2007 à Colon en Argentine. Depuis, la nouvelle s'est répandue et les adeptes arrivent de toute l'Amérique du Sud pour se jurer fidélité sous la tronche de Diego, symbolisée par un ballon de foot et une couronne d'épines. Un curé en soutane blanche me souhaite une bonne année 50 et je me dis qu'il a forcé sur les redifs de Retour vers le futur. Ignacio zoome sur l'entrée de la salle et m'explique: « Nous vivons selon un calendrier maradonien. Nous sommes donc en 50 DD. » 50 despues Diego... Allo, Europe assistance?

Les portes s'ouvrent. Les mariés se tiennent la main et slaloment entre les fauteuils en plastique. Les murs du temple sont patafixés de posters de Diego et décorés par des statues en plâtre à la bouche de travers et à l'œil qui dit merde à l'autre. Dans les coins, des plasmas géants passent en boucle les buts du sélectionneur de l'Argentine. Le curé prend un micro et l'office commence. La mariée est en blanc et son mec porte une veste noire que les designers de Delaveine n'auraient jamais osé sortir, avec un numéro 10 imprimé dans le dos. Les mariés s'agenouillent devant l'autel, la paire de Puma du dieu comme témoin. On voit même une petite église de poupée, en bois peint. A la place de la cloche, les fidèles ont accroché un ballon de baby-foot, astucieux, non?

Les Maradoniens récitent alors les dix commandements de leur Église. Fichier-enregistrer-nouveau document: « 1) Le ballon ne se salit pas ». A Urban, d'accord, mais sur un vrai terrain? « Chut! » Commandement n°5: « Répands les miracles de Diego dans tous l'univers ». J'y vais comment? En Vélib? « Re-chut! » « 9) Donne comme second prénom « Diego » à toi même et tes enfants. » Moué. Puis le curé reprend la parole: « Que les hommes ne séparent jamais ceux que le dieu du football a unis. Diego! » Ah oui, les Maradoniens terminent toutes leurs prières par « Diego! », vu qu' « Amen! » est déjà pris et déposé.

Ce jour-là, dieu n'est pas là mais « D10S », comme ils l'écrivent au dessus des portes de l'église, a voulu faire un coucou aux mariés. Son message divin est scotché sur le mur: c'est un 21x29,7 standard, imprimé à partir d'une boite mail. La salle applaudit les mariés et entonne un chant de supporters dans une ambiance de merguez-frites. Au même moment, Ignacio négocie avec le prêtre pour partir avec une copie du mail de Maradona. Tu t'arrêtes jamais? Bon, j'avoue, j'en ai demandé une aussi. C'est Maradona quand même. « Die-go Santo Marado-naaaaa... »

mardi 12 octobre 2010

1ères Rencontres du Journalisme Engagé et des Médias Libres

Après la projection, vendredi soir du film de Pierre Carles Fin de concession, s'attaquant à la privatisation de TF1 et aux rapports Bouygues-Sarkozy en 1987, JMLP a proposé, hier soir, la vision de Vincent Martin, 34 ans, rédacteur et concepteur, cofondateur de Rec Prod, sur l'ancien leader du Front National.

« Je fais ce métier par prétexte »
Le journaliste parisien a suivi Le Pen durant 6 mois, lors de sa dernière campagne aux Européennes, juste avant son retrait de la vie politique. « Je fais ce métier par prétexte, pour voir par moi-même ce qui se passe. J'ai vu beaucoup de documentaires, mais je restais sur ma faim. J'ai l'impression que les grands médias nous ont baladés pendant des années. Le Pen n'est pas brillant ni dangereux ; il n'a pas de vision globale des changements économiques qui nous entourent. Il a fait de la politique pour s'occuper. On nous l'a présenté comme machiavélique. En fait, non, pas du tout. Il est simplement franchouillard », déclare l'ancien diplômé de l'ESJ et ancien reporter à France Inter, qui collabore avec les chaînes américaines ABC et NBC, et qui écrit aussi pour le magazine en ligne Brain.

Les clés pour comprendre
Il ajoute : « Je trouve dommage que la politique soit réservée à des journalistes un peu âgés. Ils ont pour eux l'expérience, mais cela crée aussi des liens, avec le risque de « copinage ». Je suis d'une génération née avec le clip et internet, un boulimique de documentaires. J'ai voulu un montage « contemporain », sans voix off ».

Le journalisme creuse t-il sa propre tombe ? Vincent Martin perçoit « une lueur d'espoir » avec l'apparition de Mediapart, Rue 89, Backchich. info. Il a assisté à la métamorphose de l'information avec internet. « Mais de l'information torrentielle, non vérifiée, de l'information cheap ». Ce qui lui fait dire que « si l'on veut une information de qualité, il faut y mettre les moyens ».
Le rachat des medias par des groupes industriels ? « Cela pose un problème d'éthique. Mais on en revient toujours à la même chose : le nerf de la guerre, c'est l'argent ; et les industriels en ont ».

L'information de qualité ne se résume cependant pas à une question de moyens. « Il faudrait que les journalismes soient plus exigeants avec eux-mêmes. La presse écrite s'effondre, mais il y a de la paresse intellectuelle ; les rédacteurs en chef ont moins d'idées, les angles sont moins variés, les enquêtes moins originales, les textes moins bien écrits ; c'est pépère. Passionné de foot, je n'apprends rien dans L'Équipe, c'est un journal qui ne se renouvelle pas. Sur France Info, sur Europe 1, ce sont des reportages très classiques, on va au plus simple, au plus rapide.
Quant à l'attitude du public, Vincent Martin observe : « Les centres d'intérêt varient, les gens s'intéressent plus au sport et beaucoup moins à la politique. Parce qu'on ne leur donne pas les clés pour la comprendre ».

Entre nos mains, de Mariana Otero

lundi 11 octobre 2010

Paroles de flics, par Vincent Martin (article publié dans Brain Magazine)

La police est partout, même dans Brain ! Délinquance, discours sécuritaire ou clichés qui collent à la matraque, les flics passent à table. Discrétion oblige, la plupart des noms et des lieux ont été changés. Mais les histoires, les vraies, sont là. That’s the sound of the police !

MARC
Ancien Lieutenant, Marc Louboutin a 44 ans. Stups, brigade des mineurs, GIR, c’est un spécialiste des flagrants délits. En 86, il arrête l’ennemi public Michel Vaujour et reçoit la médaille de bronze pour actes de courage et dévouement. Mais, dégoûté par les nouvelles méthodes de la police, Marc rend ses décorations et démissionne, avec fracas. Métier de chien, lettres à Nicolas est son premier livre. Il est édité chez Privé.

Michel Vaujour, le roi de l’évasion
« En 86, Vaujour s’évade de la Santé à Paris. Il lui reste 28 ans à faire pour attaque à main armée et tentative de meurtre. Il menace les gardiens avec un faux pistolet et des clémentines qu’il a peintes et qui ressemblent à des grenades. Il monte sur le toit où un hélicoptère l’attend. C’est sa femme qui pilote. L’épisode va inspirer La fille de l’air avec Béatrice Dalle. Quelques mois plus tard, 15h30, je suis en patrouille, appel radio : « Attaque à main armée rue Belgrand dans le 20ème, Crédit Lyonnais ». On fonce sur place avec Dan, mon coéquipier. Je repère un mec assis sur un banc en face de la banque. Perruque, crosse de pistolet qui dépasse de la ceinture… il fait semblant de promener un chien. Avec Dan, on fait genre on est deux potes : « Allez salut ! » On le plaque au sol et on le désarme. Soudain, ça tire et ça coure dans tous les sens. Je tire à mon tour. Une fille arrive avec un brassard Police. Je lui fais signe de se baisser, elle me demande : « T’es un collègue ? » Je suis à genou contre une roue. Un pare-brise explose. J’aperçois un autre braqueur, je tire encore. Il tombe. De l’autre côté du boulevard Mortier, son complice nage dans une flaque de sang. Le soir, au 36 quai des Orfèvres, je suis entendu par un inspecteur. « C’est Michel Vaujour que t’as descendu. T’es bon pour une médaille!»

Oui mais voilà…
« Cette époque est terminée ! Je suis rentré dans la police pour les mêmes raisons que tous les flics. J’ai grandi en banlieue et des potes sont morts d’overdose. Je voulais arrêter les méchants. Aujourd’hui, on demande deux choses aux policiers : mettre des PV et arrêter les sans-papiers. Point barre. C’est ce qu’on appelle faire du chiffre. Ce qui compte, c’est le nombre de garde à vue. Avant, quand un gamin se faisait attraper avec ses potes par des vigiles pour un vol de CD, on rédigeait une main courante, on le remettait à ses parents et on rendait le CD au responsable du magasin. Efficace et dissuasif. Maintenant, il faut mettre le môme et ses potes en garde à vue et faire une procédure de vol. Dans les statistiques, ça fait une affaire élucidée et trois GAV en plus. Les chiffres sont là, fabriqués de toute pièce. Dans une affaire de stups, une garde-à-vue dure quatre jours, il faut mobiliser des officiers, des procureurs… C’est tellement plus facile d’arrêter un clando qui vend des tours Eiffel dans le métro. La hiérarchie nous met une énorme pression. C’est pour ça que j’ai démissionné.
Je suis devenu journaliste chez VSD et les emmerdes sont arrivées. En 2003, la rédaction en chef me commande un article sur le malaise des policiers et sur ce qu’ils pensent de leur ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. J’interroge d’anciens collègues, qui balancent. L’article fait beaucoup de bruit et ça ne plait pas en haut lieu. La direction de la police envoie un courrier à VSD. A partir de ce moment, plus personne ne me prend au téléphone au magazine. Après trois ans de collaboration, tous les articles commandés sont annulés. J’envoie des mails et des recommandés. Pas de réponse. Dans la foulée, redressement fiscal : je dois payer 8 000 Euros aux impôts… Un hasard, sans doute. »

DANIEL
Daniel a 41 ans, dont 20 passés dans la police. Capitaine, il a fait ses classes au commissariat de Stains dans le Val d’Oise avant d’entrer aux Stups. Il arrête les gros dealers et côtoie tous les jours la misère des cités.

Les cités, royaume de la came
« Il faut cinq tonnes de shit par semaine pour alimenter l’Ile-de-France. Crois-moi, elles rentrent. Le 92, le 93 sont envahis par la came : Nanterre, Pablo Picasso, les Canibouts sont devenus les plaques tournantes du trafic. En banlieue, 70% des loyers sont payés en liquide… d’où vient l’argent ? Des « Tony Montana », en France, il y en a. Je connais plusieurs familles de milliardaires de la came en banlieue. Mon quotidien ? Les écoutes téléphoniques, l’attente, les « Z » (un Zaïrois en langage policier. En France, le marché de l’héroïne est aux mains des Zaïrois, ndlr) et les interventions aux quatre coins de l’Europe. Ma dernière intervention ? A Rotterdam, un grossiste zaïrois que j’avais mis sur écoute. On a eu de la chance : aujourd’hui, les dealers se méfient beaucoup des portables et reviennent aux... Tatoo ! Mais pas lui. On l’a pété à cinq voitures près du stade de Feyenoord. Il a rien compris. »

La misère des cités
« La misère, on la voit tous les jours. Tu veux connaître l’état de la société ? Demande aux policiers. Un flic, c’est comme un garagiste, il met les mains dans le cambouis. On rentre chez des gens à 6h00 du matin pour des perquises et on découvre des drames sociaux, des alcoolos ou des frigos remplis de mouches sur des viandes périmées. Parfois, je comprends quand ça pète. Derrière la délinquance, il y a souvent la misère. Misère dans l’éducation d’abord : les parents démissionnent, ça les dépasse. La politesse, les valeurs… c’est fini. C’est pour ça que la délinquance est de plus en plus jeune et de plus en plus violente. Misère intellectuelle ensuite. Les mecs vont pas en cours, savent à peine lire et écrire, les parents parlent pas la langue parfois. Pas de boulot, donc. Enfin misère affective. Les sentiments sont mal vus en banlieue. Tu sors avec une fille, c’est la honte. T’es un peu sensible, t’es pédé ! A 10 ans, les mômes font leur éducation sexuelle sur des pornos hardcore. Ils croient que les filles dans la rue sont les filles des pornos. C’est pour ça que les nénettes sont pas respectées en banlieue. Ensuite, tu retrouves les mecs au tribunal de Créteil ou Bobigny, à 12 ans, pour une tournante. Et ils sont sincères quand ils disent : « Je croyais qu’elle aimait ça ».

ARISTIDE
Aristide est gardien de la paix en banlieue parisienne.
« Dans les cités chaudes, il y a seulement trente mecs qui foutent le bordel, pas plus. Tu peux demander à tous les flics. Ce qui manque, c’est la volonté politique de les arrêter. Depuis des années, les consignes sont claires : ne rentrez pas dans certaines cités. Résultat, on a des zones de non-droit. Tu veux un scoop ? A Grigny, juste avant les émeutes de Villiers-le-Bel, la police avait ordre de n’arrêter personne. Pourquoi ? Faut pas faire de vague. »

FABIEN
Fabien est gardien de la paix à Trappes dans les Yvelines.
« Les flics sont pas racistes ! La preuve, 80% des policiers sont syndiqués et le plus gros syndicat de la police est à gauche. Il y a bien un syndicat d’extrême droite, le FPIP, mais il est archi, archi minoritaire. D’ailleurs, on est les premiers à dénoncer les contrôles au faciès. C’est illégal. Si aujourd’hui, je peux faire mon marché le dimanche à Trappes sans me faire agresser, c’est parce que j’ai toujours fait mon travail avec humanité. J’aime les Arabes, j’aime les Noirs, j’ai zéro haine. »

JACQUES
Jacques est gardien de la paix en banlieue parisienne.
« Les mecs qui brûlent des voitures sont des abrutis. Certains médias essayent de les faire passer pour des désespérés, c’est des conneries. Tous ceux qu’on a arrêté pendant les émeutes étaient déjà connus : cambriolages, trafics… pas du tout désespérés. Tu vas chez eux, c’est grand écran, Playstation… Ils revendiquent que dalle ! »

JOCELYN
Jocelyn a 37 ans. Sorti dans les premiers de l’école de police, il a pu choisir son affectation : les CRS 53 à Marseille. Pour l’action. Il est aujourd’hui patron d’une entreprise de fabrication de piscines.

Une famille de durs
« Je vais pas te mentir, si j’ai choisi la CRS, c’est pour l’action. Mettre des PV de stationnement ou courir après des vendeurs de cigarettes, très peu pour moi. J’ai besoin d’adrénaline. Quand j’étais ado, en début d’année, la prof faisait remplir une fiche avec la question : « tu veux faire quoi plus tard ? », je répondais CRS. J’avais toujours en tête les images de manifs qui passaient au 20h00. J’avais le cœur qui battait et je voulais rentrer dans la télé, au milieu de la bataille. J’ai des souvenirs intenses qui resteront gravés : les grèves de dockers qui dégénèrent, les mineurs… Je ne suis pas un cas à part : c’est pas politiquement correct mais tous les CRS aiment la bagarre. Mon père, ancien boxeur, m’a très vite mis sur un ring. J’aime l’esprit de corps et le contact. C’est ce que j’ai retrouvé aux Compagnies. »

Bienvenue à Bogotta
« Ce soir-là, l’OGC Nice reçoit l’OM en match de championnat, un match à haut risque selon la préfecture. Les deux clubs ne s’aiment pas et leurs supporters sont parmi les plus violents de France. Dans la journée déjà, des incidents avaient éclaté en centre-ville et sur la promenade des Anglais. A seulement deux heures de route, les Marseillais se déplacent toujours en masse. Pour éviter les accrochages, les cars sont escortés par les motards de la police à quelques kilomètres du stade.
Par tradition, les CRS n’aiment pas les supporters. C’est réciproque. D’habitude, les consignes du ministère, c’est : « Pas de bavure ! » Un étudiant ou un gars de chez Moulinex qui saigne, c’est pas bon pour l’image du gouvernement. Mais avec les supporters, c’est différent. Là, c’est plutôt : « Lâchez-vous, faites-vous plaisir ! »
A la fin du match, les Marseillais envahissent le terrain. Ils foncent vers la tribune d’en face et on les stoppe. On cogne dans tous les sens pour faire rentrer les Marseillais dans leur tribune. Après 2-3 minutes, certains résistent. Et là, je sais pas ce qui se passe dans la tête des gradés : on lâche les cynos (brigade cynophiles, les chiens d’attaque de la police, ndlr). On envoie cinq chiens, des bergers allemands, dans la foule, au hasard. Il y avait des ultras mais aussi des pères de famille et leurs enfants, des femmes, des vieux. Ça hurlait ! Toute la tribune s’est retrouvée sur le parking du stade. Ça criait, ça se battait, ça pissait le sang… Bizarrement, j’ai gardé mon sang-froid mais les collègues étaient comme fous. Ils cognaient sur les vitres des cars qui partaient vers Marseille. Ils voulaient vraiment la baston. Le lendemain, Nice-Matin titrait : « Les supporters marseillais provoquent des incidents. » Pas un mot sur ce père de famille, la quarantaine, tabassé devant les yeux de son fils, 10 ans. Des supporters ont porté plainte, l’affaire a été étouffée. On a eu du bol, ce soir-là, on aurait pu avoir des morts. »

ALINE
Aline est gardien de la paix en banlieue parisienne.
« Il y a trop d’inégalités et notre société doit absolument se pencher dessus. Les mecs habitent dans des cités pourries. En trente minutes de RER, ils se retrouvent sur les Champs au milieu des Hummer ou des Ferrari. Ils deviennent fous. Si les inégalités continuent de grandir, la situation va devenir ingérable. »

AMARA
Amara a 41 ans et quatre ans de BAC de nuit derrière lui. Chaque soir, de 23h00 à 6h00 du matin, il patrouille dans Paris dans une Mondéo grise.

Partie de jambes en l’air
« A l’époque, je suis en secteur 3 : je couvre les 5ème, 6ème, 11ème, 12ème, 13ème, 14ème et 20ème arrondissements. Une nuit, 2h00 du mat’, on reçoit un appel du Ciat (commissariat, ndlr) : « Cambriolage rue Bonaparte, dans le 6ème. » Des voisins ont appelé, ils ont entendu des bruits sur le palier. C’est un quartier riche de la capitale et beaucoup de stars habitent le coin : Jamel, tout ça… Tableaux, œuvres d’art, hi-fi… ça attire les cambrioleurs. En général, les immeubles rive gauche sont très sécurisés : il y a aussi beaucoup d’hommes politiques qui habitent par là. On met le deux-tons et on remonte le boulevard St Germain jusqu’à Mabillon. Une voiture de collègues est déjà sur place. Ils regardent vers les étages. Un couple de personnes âgées attend sous le porche. C’est eux qui ont appelé : ils ne veulent pas remonter tant qu’on est pas intervenus. On défait les pressions des Sig (les pistolets de policiers de la BAC, ndlr). C’est au 5ème étage, on prend l’ascenseur, un collègue reste en bas des escaliers au cas où les cambrioleurs descendraient par là. On arrive et on tend l’oreille pour essayer de savoir combien ils sont à l’intérieur. Mais en collant l’oreille à la porte, on n’entend pas vraiment les bruits auxquels on s’attendait. Je tape à la porte en criant « Police ». Un mec, 50 ans, tapis de jeu autour de la taille, nous ouvre. C’est un acteur super connu qui a joué dans pleins de films des années 80 en France. Il a même dû avoir un César une fois ou deux. On entre et on explique ce qu’on fait là. Au lieu d’un cambriolage, c’est une partie de jambes en l’air, à plusieurs. Des filles un peu éméchées courent à poil dans tout l’appartement. On lui a demandé de faire moins de bruit et on a dit au couple qui avait appelé que tout était rentré dans l’ordre. »

GILLES
Gilles est gardien de la paix en banlieue parisienne.
« Quand tu fais ce métier, tu ne fais pas qu’arrêter les voyous. Tu as aussi un rôle social dont personne ne parle. Quand une concierge appelle pour signaler une odeur suspecte derrière une porte, c’est nous qui ouvrons. C’est nous qui découvrons un vieux, mort depuis quatre jours. Des gens meurent seuls et c’est… la police qui s’occupe des obsèques et des papiers. C’est nous qui voyons la mairie, qui bloquons les comptes en banques... On voit les dernières heures de vie en ouvrant les tiroirs et les armoires... Il y a un aspect hyper humain dans notre métier dont on parle jamais mais pourtant essentiel. J’ai même eu de la compassion pour des grands voyous qui tombaient pour 20 ans. J’ai vu une larme couler sur leur joue quand ils ont embrassé leur petite fille pour la dernière fois. J’ai une fille, je sais ce que c’est. »

Petit lexique de la police :
- Arracher : interpeller quelqu’un. Synonyme : péter.
« On n’arrache pas sans se présenter. C’est comme aller aux putes sans dire qu’on est puceau. »
- Baygon vert : canette de Heineken.
« Quand arrive l’heure du Baygon vert, le deux-tons c’est mieux qu’Ariane pour faire Châtelet-Barbès en 9mn. »
- Braqueur de fourrures : délinquant sexuel.
« Au trou, les plus coquets, c’est les braqueurs de fourrure. Ils soignent leur ligne : tous les jours, c’est : soupe, purée, compote. »
- Cage : cellule de garde à vue.
« Raymond en a tellement marre de sa bourgeoise qu’il serait capable de se faire mettre en cage pour avoir la paix. »
- CSB : initiales de « casquette-survet-baskets » : racaille. Synonyme : crapaud.
« René a le seum : son fils est un CSB. Au début, il croyait qu’il s’était mis au sport. Mais j’ai pas souvenir que le vol à l’étalage soit discipline olympique. »
- Go-fast : grosse voiture, en général Mercedes, qui passe la drogue sur l’autoroute, la nuit, à toute vitesse.
« Embagousé jusqu’au trou de balle, il feuillette les bouquins pornos de la station-service. Passionné qu’il était ! On aurait pu lui taper sa go-fast qu’il serait toujours sur Miss avril. »
- Main : 5g de drogue.
« Son dealer ? Une arnaque ! Ses mains faisaient 4g. Faut dire qu’il avait perdu un doigt en bricolant une tondeuse au dernier 1er mai. »
- Merguez : voiture volée dont le numéro de moteur a été maquillé.
« La PUP le pète à Denfert. Sa merguez : aussi maquillée qu’un trave un jour de mardi-gras. »
- N.A. : initiales de « Nord-africain » : le type maghrébin, dans les appels radio.
« Y’a pas de mystère : les Bretons, c’est la crêpe, les N.A., c’est le chichon ! »
- Tamponner : demander des renseignements.
« On est allé tamponner sa bignole : de sa loge, elle le voyait rentrer à l’aube, beurré comme un Petit Lu. »