jeudi 23 décembre 2010

C'est chaud la techno ou pas, de V. Martin (Article paru dans Brain-Magazine)

Paye ta boule Quiès ! Damien Raclot-Dauliac sort Heretik System : We Had a Dream, un DVD documentaire sur le mouvement des free parties en France. Entre techno vénère, pilules chelou et coups de matraque, le film raconte le parcours des Hérétiks, un soundsystem de banlieue parisienne. Quoiii, qu'est-ce tu dis ? Je dis : “Un soundsystem de...”.


“On voulait faire une fête à la Ferté-sous-Jouarre. Y avait un point de rendez-vous et déjà quelques centaines de voitures qui attendaient. Quand on est arrivés au point de rendez-vous, les flics étaient là. Un mec monte sur une voiture et dit à tout le monde : « Suivez-nous, on va trouver un autre endroit. » On roule sur vingt bornes à travers la campagne, on fonce sur les nationales avec quatre-cents voitures derrière.” Et là ? “On défonce la porte de la décharge publique avec les camions, on rentre, on pose le son. C'est chaud la techno ou pas ?” Vidéos d'archive à l'appui, We Had a Dream raconte l'histoire des Heretiks, pilier des free parties françaises des années 1990 à 2000. Sur fond d'images d'époque, Léo, Ben, Jeannot ou KRS racontent chacun leur tour leurs virées sur l'A6, leurs week-ends en cambrousse et leurs enceintes 10 X 4 millions de Watts. Dix ans plus tard, les free parties sont interdites en France sous peine d'amendes et de confiscation du matériel. La techno, c'était mieux avant.

En 1992, l'Avon free festival rassemble des milliers de teufeurs dans la campagne anglaise, sans rien demander à personne. Au programme, trois jours de musique non-stop pour des allumés qui préfèrent danser en tatane et dans la boue plutôt qu'en mocassins sur un dance-floor chicos. Bingo, le gouvernement Thatcher rédige le Criminal Justice Bill, une loi qui interdit les raves party et promet d'enfermer les organisateurs dans la Tour de Londres. Pourquoi ? Because des champs de betterave dévastés et des fêtards plein les urgences à force de gober tout ce qui passe sous leurs piercings. Les plus acharnés sautent alors dans un ferry et s'enfuient en France. En Europe, ils inventent un nouveau genre de ré-soi, la free party, une fête clandestine et gratuite. A deux années lumière du sans-alcool-la-fête-est-plus-folle, les free parties s'improvisent dans des patelins perdus et rassemblent des centaines de technoïdes amateurs de liberté, de douche trimestrielle et de décibels à faire tomber les sourcils.

Et puis le jour de gloire eeest-ta-rri-vé ! “Il y avait les TNT dans l'Essonne, les Trouble-fête, K-Bal, Corrosive System, les UFO à Ris, les Heretiks à Paris et le 94.” Ils sont jeunes, vivent en marge et veulent faire la peau du grand capital à coups d'acouphènes et de soirées gratos. “Le nom « Heretik », ça vient d'un jeu sur PC, un sorcier qui balance des trucs. On a regardé ce que ça voulait dire dans le dictionnaire : Non soumis à la doctrine établie . On a gardé le nom.” A partir de 1996, les Heretiks enchaînent les soundsystem. Dans leurs J9 Kiloutou, ils sillonnent les routes à la recherche d'un terrain militaire ou d'un hangar à l'abandon, avant d'escalader des grilles et d'installer leurs platines. Mais déjà, les RG veillent. Les lieux des rendez-vous sont gardés secret et les teufers se repèrent grâce aux messages des organisateurs laissés sur des hotlines codées. “Les Heretiks étaient très efficaces dans l'organisation des fêtes. Une fois, ils ont eu un problème avec un groupe électrogène au Crancey, dans l'Aube. Après quelques coups de fils, ils ont réussi à faire venir un camion électrogène de Belgique et la fête a eu lieu.” Les Heretiks s'installent même dans un pavillon d'Aulnay-sous-bois en banlieue parisienne. “A l'époque, tout le monde habite ici, le matos est stocké en bas, les camions sont garés devant, les fêtes sont préparées là-bas, c'est notre base. On achetait du matos de son grâce à l'argent des fausses préventes. Et puis on vendait de la skunk, ça marchait bien aussi.” Mais ça, ça plaît middle à la police.

Entre deux mixes, le LSD, les ecstas et la coke circulent comme des Apéricubes le soir du Réveillon. Résultat, des brigades pour surveiller les free parties se radinent à chaque fête : “Notre mission, c'était faire la lumière sur les free parties, étudier pour comprendre. Qui sont-ils, que veulent-ils ? Est-ce qu'ils font du trafic de drogue ?” En 98, après quelques overdoses et un tapage nocturne entendu jusqu'à Pluton, les ministères de l'Intérieur et de la Défense pondent une circulaire qui interdit les free parties en France. Désormais, pas de fête sans autorisation du préfet sinon le matériel est confisqué. “Un jour, à 4 heures du matin, il y a eu une descente de flics avec des chiens et des lacrymos. Ils ont confisqué le matériel, tous les vinyls, notre vie quoi. Certains ont été tirés par les cheveux sur cinquante mètres.” Au fil des semaines, la répression devient plus forte et un message politique émerge. “On a commencé à se politiser, à revendiquer : on veut faire la fête librement. On écrivait des textes, on réclamait le droit de s'éclater, de prendre le temps de vivre. On n'était pas juste les pieds dans la boue, la tête dans les étoiles. Et on s'est dit : « Faut faire mal, faut faire des gros coups. »”

Et le premier gros coup arrive quelques semaines plus tard, pour Halloween. Les Heretiks décident d'organiser une free party en plein Paris. “Ça se passait en bord de Seine, dans la gare de fret sous Bercy. C'était abandonné. On voulait cramer la capitale, je me souviens avoir arrêté la circulation sur les quais pour laisser manœuvrer les camions. Et ça a marché, on a rassemblé trois mille personnes. Tu te rends compte ? Trois mille personnes, à 23 heures, en plein Paname sans que personne s'en rende compte ? Mais que fait la police ?” Le 14 juillet 2001, Jacques Chirac, alors président de la République, donne un cours de techno aux Français devant leur télé. Tagada, crac-crac : “Les rave party, qu'est-ce que c'est ? C'est une culture qui existe et qui a son charme. Ce qui pose problème, c'est ce qu'on appelle aujourd'hui les free party.”

Trois ans plus tard, les Heretiks rempilent à Molitor, une piscine art-déco du 16e, classée monument historique et laissée à l'abandon depuis des années. “Il a fallu deux mois de préparation pour tout nettoyer. Molitor, c'était un repaire de graffeurs et de clodos. On était déguisés en ouvrier du bâtiment pour pas attirer l'attention, on réservait les places de stationnement comme les camions de ciné. On marchait comme un commando avec des postes et des rôles pour chacun.” Là encore, les RG passent à côté et les Heretiks font rentrer six mille fêtards. “Manu le Malin mixait à Strasbourg cette nuit-là mais il voulait absolument être là. Quand il a terminé sa soirée, il a foncé en bagnole et il est arrivé à la piscine à 8 heures du matin. Le son a pété jusqu'à 11 heures. C'était l'apothéose, on a fini par arroser les enceintes au champagne.” Heretik System, We Had a Dream, le rêve est devenu réalité. Commeeent ? Je dis, le rêve est devenu...

Heretik System : We Had a Dream, sortie fin octobre. http://www.heretik.net/.

samedi 20 novembre 2010

Gloire et déboires d'American Apparel, par Vincent Martin (article publié dans Brain-Magazine)

Vingt ans après sa naissance, American Apparel a fini par déteindre au lavage. Envolés les millions de dollars de bénéfice et les croissances éclair. Aujourd'hui, la marque de t-shirts croule sous les dettes et se demande si elle passera la collection automne-hiver. La faute à la crise mais aussi aux frasques du patron, Dov Charney, 41 ans, génie du business pour les uns, malade mental pour les autres.


"On s'est assis l'un en face de l'autre. Sur la table basse, il y avait une lampe un peu vintage, une boîte de Sudafed, du PQ et son ordinateur portable. On parlait d'American Apparel et au bout d'un moment, il a défait sa ceinture et m'a demandé : 'Can I ?'. Puis il a commencé à se branler en parlant modèles économiques et politique d'embauche. En un mois, je l'ai vu éjaculer huit fois." Claudine Ko, journaliste à Jane Magazine (lire l’article ici), a suivi Dov Charney pendant quatre semaines, un Kleenex à la main. "En plus des branlettes, je l'ai entendu réclamer plusieurs fois des pipes à ses assistantes, de façon tout à fait naturelle, genre what's wrong with it ?" Et bé ! "Dov est un sex addict, tout le monde le sait. Il est accro au cul. Combien de fois je l'ai vu en slip en réunions ? Je ne compte plus..." Total, le patron d'Am App collectionne les procès pour harcèlement sexuel, dans toutes les tailles et toutes les couleurs possible. A un récent procès, le procureur lui a demandé pourquoi il bossait en slobard cranberry devant ses salariés. Réponse : "J'enlève souvent mon pantalon pour montrer à mes employés mes dernières nouveautés." Mouais... Montant du dernier chèque signé à une plaignante ? 1,3 millions de dollars. Ça en fait des cols V !

Pourtant, chez Am App, ça n'a pas toujours été la fête du slip. Rewind. Dov Charvey nait en 1969 à Montréal dans une famille de juifs ashkénazes. Il aurait pu se contenter d'écouter Roch Voisine en s'injectant du sirop d'érable en intraveineuse mais à 11 ans, il est déjà accro aux activités de toutes sortes : délégué des élèves, photographe officiel de son bahut, directeur du journal de l'école... A l'occasion, il donne même une interview pour un documentaire sur les camps de vacances : "Quand tu arrives au camp, les monos te disent : 'File-moi ton argent de poche, on va le mettre dans un pot commun.' C'est pour éviter les différences entre les enfants riches et les enfants pauvres. I mean, we're not communist !" Tu peux être un adulte dans un corps d'enfant steuplait ? Heureusement, le petit Dov trouve la parade, jette 2-3 $ au G.O et garde le reste dans la poche arrière de son G-Star ! Ado, passionné par la mode et la confection, Monsieur J'aurais-pu-jouer-le-poiscaille-dans-Piranha3D s'interroge. Chez lui, entre les chemises de bucherons et les toques en fourrure, pas moyen de trouver un T-shirt bien coupé. Mais la vérité est au bout du couloir, ou plutôt, de l'autre côté de la frontière. Charney prend alors le train pour les USA et fait chez K-Mart une razzia de T-shirts Hanes ou Fruit of the Loom, qu'il revend ensuite au Canada, sous le manteau. Tabernacle ! Une fois, il rapporte dix mille pièces qu'il bourre dans une remorque louée pour l'occase, ambiance les Allemands sont revenus, il est temps de faire des stocks. Son affaire marche si bien qu'à la fac, il devient le premier étudiant à posséder un portable, de la taille d'une centrale nucléaire, qu'il paye 3000 $ de l'époque, soit 1 573 986 € d'aujourd'hui.

A 22 ans, installé aux US, il monte sa boîte qu'il baptise American Apparel. Là, il fabrique des T-shirts en gros qui sont ensuite imprimés par des groupes de rock, des musées ou des designers. Obsédé par la coupe, il fait essayer ses T-shirts aux meufs des clubs de strip-tease pour tailler les patrons parfaits. Parenthèse : nous, les journalistes, on fait lire nos papiers à nos mères qui demandent : "Bennes magazine, un journal sur les bennes ? Brain, maman, Brain..." Bref. American Apparel grossit et s'installe, en 1997, à L.A. Dov Charney veut défier les Chinetoques qui fabriquent pour 0,0000001 $ de l'heure et bouleversent la façon de faire des affaires aux Etats-Unis. C'est tout ? Non, trois ans plus tard, il ouvre une usine de 75 000 m2, passe de la vente en gros à la vente au détail, ouvre ses trois premières boutiques à Montréal, NYC et Los Angeles, fabrique des liquettes, des soutifs et des calbutes orange fluo, devient le plus gros fabricant de vêtement des USA, fait travailler 7000 personnes dans le monde, engrange 400 millions d'euros de chiffre d'affaires, entre en bourse, est élu marque de l'année par le Guardian, apparaît dans le top 100 des patrons du L.A. Times et Time Magazine. Aujourd'hui, American Apparel fait tourner 279 boutiques dans vingt pays du monde. "Les raisons du succès ? " comme dirait le mec de Capital sur M6 : des fringues simples et colorées, sans inscription et bien coupées. Mais surtout, une image en or, entre We are the World et le regard d'un bébé labrador dans une boîte à chaussures. Chez Am App, l'employé est élevé en plein air et nourri au grain : salaire horaire élevé, mutuelle, cours d'anglais gratos, massages gratos, panier repas gratos, vélo gratos pour rentrer au tié-quar et appels à l'étranger gratos. We aaare the children... Sans oublier l'immense panneau solaire sur le toit de l'usine, les 20 % de coton bio dans les T-shirts, le fonds pour les sinistrés du cyclone Katrina, les concerts de country Farm Aid pour aider les fermiers sinistrés. Comme le dit la banderole sur le toit de l'usine : "American Apparel, c'est la révolution industrielle". Shooté aux épisodes de Minus et Cortex, Dov Charney veut conquérir le monde. Fausse bonne idée.

"Il y a eu de grosses erreurs de gestion. En pleine crise économique, Dov a décidé d'ouvrir de plus en plus de boutiques, aux quatre coins du monde. Conclusion, on vendait moins de vêtements et la dette n'arrêtait pas d'augmenter." Montant de la dette aujourd'hui ? 120 millions de dollars ! "Pour Dov, tous les employés doivent être au taquet 24 h/24, 365 jours par an. Il peut débarquer sans prévenir dans un magasin et dire : 'On bosse toute la nuit pour refaire le stock !' Ceux qui ne sont pas dans ce moule sont dégagés !" Résultat : des dizaines de procès pour licenciement abusif qui coûtent un bras. "Il prend des décisions en une seconde sans jamais penser à ce que ça coûte. Il dit à ses assistants : 'Tu pars demain à Berlin, Tokyo, New York. Prends un aller simple, je ne sais pas quand tu rentres. Donc des frais de voyage monstrueux, des notes d'hôtel et de bouffe de dingue, pour des missions pas toujours claires. Un jour, il décide d'utiliser une photo de Woody Allen tiré d'Annie Hall pour une pub, sans demander la permission à Woody Allen. Procès. 5 millions de dollars de dommages et intérêts. C'est la plus grosse somme jamais versée pour ce genre d'affaire à New York. Et ainsi de suite... Le fond du problème, c'est que Dov se croit intouchable." Début 2010, Dov refuse de publier ses résultats et les actionnaires veulent le passer à la sécheuse. La police de Wall Street s'en mêle et menace de le radier des marchés. Mi-août, Dov publie un communiqué pas très à l'aise, deux points, ouvrez les guillemets : "La compagnie ne sait pas si elle va continuer. American Apparel pourrait ne pas disposer des liquidités suffisantes pour assurer la poursuite de son activité sur les douze prochains mois." Fini le golf et le bridge, les vacances à St Tropez, il ne rentre paaas ce soir... A la bourse, l'action rétrécit au lavage : 17 $ à ses débuts contre... 80 cents aujourd'hui. Attends, je t'en prends dix mille, j'ai la monnaie sur moi. Sans parler des services de l'immigration qui descendent à l'usine. Am App a dû renvoyer 1500 salariés en plein shia-tsu gratos. Motif : ben... ils étaient pas en règle !

"Dov a des obsessions. Je l'ai déjà vu à quatre pattes dans un magasin en train de gratter un chewing-gum par terre et montrer au staff comment faire pour l'enlever. Il est maniaque de la propreté."" Sa grande passion, c'est les air compressor, des machines qui projettent de l'air et qui enlèvent la poussière. Je l'ai déjà entendu parler d'air compressor pendant... une heure. Et juste après, il part démonter les grilles de la clim et passe son doigt pour voir si c'est clean. Il fait des fixettes. Le lendemain, il bloque sur le look des vendeuses. Le surlendemain sur les mannequins dans la vitrine." Okééé... "Il n'y a qu'une chose qui intéresse Dov : sa boîte. Le reste, il s'en fout. Il est habillé pareil d'un bout à l'autre de l'année : polo, jean et chaussures bateau. Il dort quatre heures par nuit et mange un repas par jour. Et encore, si personne ne lui apporte à manger, il oublie. Pas de chambre libre à l'hôtel ? Il dort dans sa caisse ou à l'usine. Il passe sa vie au téléphone. Donc, il demande à tous les gens qui bossent avec lui d'avoir le même téléphone que lui pour pouvoir taxer les batteries quand il est en rade. Il travaille 24 h/24 !" Bon, d'accord, mais c'est pas parce qu'on vit comme un punk à chien et qu'on se met pas des races à L'Hippopotamus qu'on coule sa boîte. "Non, mais il est obsédé par sa marque, fait tout lui-même et ne prend aucun avis extérieur. C'est lui qui choisit la plupart des filles avec qui il travaille. C'est lui qui les prend en photo pour les pubs. C'est lui qui choisit la marque et le modèle d'ampoules dans ses magasins. Quel autre patron fait ça ? Alors quand un actionnaire lui dit calmos sur les ouvertures de shops, il écoute pas, il s'en fout. Dans son jardin, il a une sculpture qui domine tout L.A. : un énorme doigt d'honneur. Ça veut tout dire."

Quoi qu'il en soit, les actionnaires d'Am App ont donné jusqu'au 31 décembre à Charney pour redresser la boîte. Sans quoi il sera dégagé et remplacé. Au pire, il paraît qu'ils cherchent des vendeurs à Vieille-du-Temple...

lundi 25 octobre 2010

Au nom du Père, du Fils et du St Diego (Article paru dans Brain-Magazine)

Après les Raéliens et leurs hallus extraterrestres, une autre secte enrôle chaque jour de nouveaux membres. L'Iglesio maradoniana, l'Église maradonienne, rassemble cent mille adeptes à travers le monde. Quand certains passent leurs soirées sur YouPorn, les Maradoniens, eux, matent en scred les pralines du Pibe de or et terminent toutes leurs phrases par « Diego ».

« Notre Diego qui est sur les terrains, que ton pied gauche soit béni, que ta magie ouvre nos yeux, fais-nous souvenir de tes buts, sur la Terre comme au Ciel... » Dans son F2 décoré par Leader Price, Ignacio récite le Diego nuestro avant d'embrasser l'une de ses statuettes en cire à l'effigie du joueur. Celle d'aujourd'hui est un peu fondue à cause de la chaleur et Maradona à l'air de Ribéry après son accident. A 37 ans, Ignacio fait le concierge dans une école de Pompei, la banlieue de Buenos Aires. Zéro meuf, zéro cash, mais une passion, Diego Armando Maradona, le plus grand joueur de tous les temps après Julien Serfaty, un copain d'enfance qui ressemble à l'attaquant comme deux gouttes d'eau bénite: « Ma religion, c'est le football. Et dans toute religion, il y a un dieu. Mon Ancien testament, c'est ça! » Des centaines de VHS et DVD sur les étagères de son salon, Choisissez-bien-choisissez-But,les cinq cent quatre-vingt huit buts en club, la conférence de presse à Barcelone, la super coupe d'Italie... Le parrain, Camping 2, ça te parle? « Quand je me sens mal, je tire une vidéo, au hasard. D'un coup, tous mes problèmes s'envolent! Quand j'étais plus jeune, j'étais héroïnomane. Ça ressemble à ça, en beaucoup plus fort et beaucoup plus sain. » Beaucoup plus sain?

Aujourd'hui, Ignacio a pris sa journée pour filmer le mariage d'un de ses voisins à Rosario, à 300 bornes de là. « Au début, sa femme n'était pas d'accord pour faire ça dans l'Église de Diego. Elle voulait bien tapisser la salle de banquet avec des rideaux ciel et blancs mais elle voulait aussi un mariage traditionnel. Alors, je suis venu chez eux trois soirs par semaine, pendant un mois, après mon travail à l'école. Je restais le temps de boire un café et d'expliquer notre foi. Pendant ce temps-là, son futur époux montrait les buts d'el Diez sur internet. Je lui disais qu'il fallait croire en quelque chose... Tu sais, depuis la crise en Argentine en 2002, il faut bien se raccrocher à quelque chose. Finalement, elle a cédé. »

Ignacio débranche le chargeur de batterie de son caméscope et descend au parking. Le tableau de bord de sa voiture ressemble au jeu « Qui est-ce? », avec toutes ces images de l'attaquant collées debout les unes à côté des autres. « J'ai fait plastifier cette photo de Diego sous le maillot du Napoli. Elle date de la première année du sacre en Série A, en 87. J'avais un correspondant en Italie, il me l'a faite dédicacer... Elle n'a pas de prix. J'en ai une autre que je garde dans mon portefeuille. Elle est un peu plus vieille, c'était à son passage à Boca Juniors. Et puis celle-ci, que je porte autour du cou, regarde. » Wallah hadim, la photo du numéro 10 est gravée au laser sur un pendentif en or et je suis à deux doigts d'ouvrir la portière pour descendre en marche. « J'aime avoir des photos de Diego dans ma voiture, pour me porter chance. Au volant, je sais qu'il ne m'arrivera rien, il est plus fort que Saint Christophe, le saint patron des voyageurs. » Ignacio bombarde et me raconte l'histoire de son Église. Les Maradoniens existent depuis douze ans grâce à deux journalistes argentins qui ont lancé l'event. Aujourd'hui, ils sont cent mille dans soixante pays du monde, en Argentine, en Espagne, au Japon... Et parmi eux, Messi, Kusturica, Owen, Deco, Tevez ou Lineker. Et quand l'un d'eux convoite la femme de son voisin de vestiaire, il récite deux-trois Diego nuestro.

Il y a deux fêtes juste inratables chez les adeptes: le Noël maradonien d'abord, tous les 29 octobre. Là, pas d'étable, de bœuf ou de Rois Mages, les mabouls de Pelusa célèbrent la naissance de Diego à Lanus en Argentine. J'essaye d'expliquer à Ignacio ce que veut dire « l'anus » en Français mais ça ne le fait pas marrer. Puis la Pâques maradonienne, tous les 22 juin: « C'est en mémoire du match Argentine-Angleterre en coupe du monde à Mexico, en 86 ». Je m'étouffe avec mon Lu Petit déjeuner et lui fais répéter. « Ce match, c'est comme un passage de la Bible, il y a à la fois le but du siècle et la main de dieu. »

Devant la MJC, les photographes et les amis des mariés attendent l'ouverture de l'église. Le « temple » comme ils l'appellent, est construit sur un terrain de foot sur lequel a joué l'idole en 93 chez les Newell's Old Boys, le club de Rosario. Total, Ignacio arrache quelques brins d'herbe qu'il enferme dans une boite de cotons-tiges. Le premier mariage, c'était en 2007 à Colon en Argentine. Depuis, la nouvelle s'est répandue et les adeptes arrivent de toute l'Amérique du Sud pour se jurer fidélité sous la tronche de Diego, symbolisée par un ballon de foot et une couronne d'épines. Un curé en soutane blanche me souhaite une bonne année 50 et je me dis qu'il a forcé sur les redifs de Retour vers le futur. Ignacio zoome sur l'entrée de la salle et m'explique: « Nous vivons selon un calendrier maradonien. Nous sommes donc en 50 DD. » 50 despues Diego... Allo, Europe assistance?

Les portes s'ouvrent. Les mariés se tiennent la main et slaloment entre les fauteuils en plastique. Les murs du temple sont patafixés de posters de Diego et décorés par des statues en plâtre à la bouche de travers et à l'œil qui dit merde à l'autre. Dans les coins, des plasmas géants passent en boucle les buts du sélectionneur de l'Argentine. Le curé prend un micro et l'office commence. La mariée est en blanc et son mec porte une veste noire que les designers de Delaveine n'auraient jamais osé sortir, avec un numéro 10 imprimé dans le dos. Les mariés s'agenouillent devant l'autel, la paire de Puma du dieu comme témoin. On voit même une petite église de poupée, en bois peint. A la place de la cloche, les fidèles ont accroché un ballon de baby-foot, astucieux, non?

Les Maradoniens récitent alors les dix commandements de leur Église. Fichier-enregistrer-nouveau document: « 1) Le ballon ne se salit pas ». A Urban, d'accord, mais sur un vrai terrain? « Chut! » Commandement n°5: « Répands les miracles de Diego dans tous l'univers ». J'y vais comment? En Vélib? « Re-chut! » « 9) Donne comme second prénom « Diego » à toi même et tes enfants. » Moué. Puis le curé reprend la parole: « Que les hommes ne séparent jamais ceux que le dieu du football a unis. Diego! » Ah oui, les Maradoniens terminent toutes leurs prières par « Diego! », vu qu' « Amen! » est déjà pris et déposé.

Ce jour-là, dieu n'est pas là mais « D10S », comme ils l'écrivent au dessus des portes de l'église, a voulu faire un coucou aux mariés. Son message divin est scotché sur le mur: c'est un 21x29,7 standard, imprimé à partir d'une boite mail. La salle applaudit les mariés et entonne un chant de supporters dans une ambiance de merguez-frites. Au même moment, Ignacio négocie avec le prêtre pour partir avec une copie du mail de Maradona. Tu t'arrêtes jamais? Bon, j'avoue, j'en ai demandé une aussi. C'est Maradona quand même. « Die-go Santo Marado-naaaaa... »