Vingt ans après sa naissance, American Apparel a fini par déteindre au lavage. Envolés les millions de dollars de bénéfice et les croissances éclair. Aujourd'hui, la marque de t-shirts croule sous les dettes et se demande si elle passera la collection automne-hiver. La faute à la crise mais aussi aux frasques du patron, Dov Charney, 41 ans, génie du business pour les uns, malade mental pour les autres.
"On s'est assis l'un en face de l'autre. Sur la table basse, il y avait une lampe un peu vintage, une boîte de Sudafed, du PQ et son ordinateur portable. On parlait d'American Apparel et au bout d'un moment, il a défait sa ceinture et m'a demandé : 'Can I ?'. Puis il a commencé à se branler en parlant modèles économiques et politique d'embauche. En un mois, je l'ai vu éjaculer huit fois." Claudine Ko, journaliste à Jane Magazine (lire l’article ici), a suivi Dov Charney pendant quatre semaines, un Kleenex à la main. "En plus des branlettes, je l'ai entendu réclamer plusieurs fois des pipes à ses assistantes, de façon tout à fait naturelle, genre what's wrong with it ?" Et bé ! "Dov est un sex addict, tout le monde le sait. Il est accro au cul. Combien de fois je l'ai vu en slip en réunions ? Je ne compte plus..." Total, le patron d'Am App collectionne les procès pour harcèlement sexuel, dans toutes les tailles et toutes les couleurs possible. A un récent procès, le procureur lui a demandé pourquoi il bossait en slobard cranberry devant ses salariés. Réponse : "J'enlève souvent mon pantalon pour montrer à mes employés mes dernières nouveautés." Mouais... Montant du dernier chèque signé à une plaignante ? 1,3 millions de dollars. Ça en fait des cols V !
Pourtant, chez Am App, ça n'a pas toujours été la fête du slip. Rewind. Dov Charvey nait en 1969 à Montréal dans une famille de juifs ashkénazes. Il aurait pu se contenter d'écouter Roch Voisine en s'injectant du sirop d'érable en intraveineuse mais à 11 ans, il est déjà accro aux activités de toutes sortes : délégué des élèves, photographe officiel de son bahut, directeur du journal de l'école... A l'occasion, il donne même une interview pour un documentaire sur les camps de vacances : "Quand tu arrives au camp, les monos te disent : 'File-moi ton argent de poche, on va le mettre dans un pot commun.' C'est pour éviter les différences entre les enfants riches et les enfants pauvres. I mean, we're not communist !" Tu peux être un adulte dans un corps d'enfant steuplait ? Heureusement, le petit Dov trouve la parade, jette 2-3 $ au G.O et garde le reste dans la poche arrière de son G-Star ! Ado, passionné par la mode et la confection, Monsieur J'aurais-pu-jouer-le-poiscaille-dans-Piranha3D s'interroge. Chez lui, entre les chemises de bucherons et les toques en fourrure, pas moyen de trouver un T-shirt bien coupé. Mais la vérité est au bout du couloir, ou plutôt, de l'autre côté de la frontière. Charney prend alors le train pour les USA et fait chez K-Mart une razzia de T-shirts Hanes ou Fruit of the Loom, qu'il revend ensuite au Canada, sous le manteau. Tabernacle ! Une fois, il rapporte dix mille pièces qu'il bourre dans une remorque louée pour l'occase, ambiance les Allemands sont revenus, il est temps de faire des stocks. Son affaire marche si bien qu'à la fac, il devient le premier étudiant à posséder un portable, de la taille d'une centrale nucléaire, qu'il paye 3000 $ de l'époque, soit 1 573 986 € d'aujourd'hui.
A 22 ans, installé aux US, il monte sa boîte qu'il baptise American Apparel. Là, il fabrique des T-shirts en gros qui sont ensuite imprimés par des groupes de rock, des musées ou des designers. Obsédé par la coupe, il fait essayer ses T-shirts aux meufs des clubs de strip-tease pour tailler les patrons parfaits. Parenthèse : nous, les journalistes, on fait lire nos papiers à nos mères qui demandent : "Bennes magazine, un journal sur les bennes ? Brain, maman, Brain..." Bref. American Apparel grossit et s'installe, en 1997, à L.A. Dov Charney veut défier les Chinetoques qui fabriquent pour 0,0000001 $ de l'heure et bouleversent la façon de faire des affaires aux Etats-Unis. C'est tout ? Non, trois ans plus tard, il ouvre une usine de 75 000 m2, passe de la vente en gros à la vente au détail, ouvre ses trois premières boutiques à Montréal, NYC et Los Angeles, fabrique des liquettes, des soutifs et des calbutes orange fluo, devient le plus gros fabricant de vêtement des USA, fait travailler 7000 personnes dans le monde, engrange 400 millions d'euros de chiffre d'affaires, entre en bourse, est élu marque de l'année par le Guardian, apparaît dans le top 100 des patrons du L.A. Times et Time Magazine. Aujourd'hui, American Apparel fait tourner 279 boutiques dans vingt pays du monde. "Les raisons du succès ? " comme dirait le mec de Capital sur M6 : des fringues simples et colorées, sans inscription et bien coupées. Mais surtout, une image en or, entre We are the World et le regard d'un bébé labrador dans une boîte à chaussures. Chez Am App, l'employé est élevé en plein air et nourri au grain : salaire horaire élevé, mutuelle, cours d'anglais gratos, massages gratos, panier repas gratos, vélo gratos pour rentrer au tié-quar et appels à l'étranger gratos. We aaare the children... Sans oublier l'immense panneau solaire sur le toit de l'usine, les 20 % de coton bio dans les T-shirts, le fonds pour les sinistrés du cyclone Katrina, les concerts de country Farm Aid pour aider les fermiers sinistrés. Comme le dit la banderole sur le toit de l'usine : "American Apparel, c'est la révolution industrielle". Shooté aux épisodes de Minus et Cortex, Dov Charney veut conquérir le monde. Fausse bonne idée.
"Il y a eu de grosses erreurs de gestion. En pleine crise économique, Dov a décidé d'ouvrir de plus en plus de boutiques, aux quatre coins du monde. Conclusion, on vendait moins de vêtements et la dette n'arrêtait pas d'augmenter." Montant de la dette aujourd'hui ? 120 millions de dollars ! "Pour Dov, tous les employés doivent être au taquet 24 h/24, 365 jours par an. Il peut débarquer sans prévenir dans un magasin et dire : 'On bosse toute la nuit pour refaire le stock !' Ceux qui ne sont pas dans ce moule sont dégagés !" Résultat : des dizaines de procès pour licenciement abusif qui coûtent un bras. "Il prend des décisions en une seconde sans jamais penser à ce que ça coûte. Il dit à ses assistants : 'Tu pars demain à Berlin, Tokyo, New York. Prends un aller simple, je ne sais pas quand tu rentres. Donc des frais de voyage monstrueux, des notes d'hôtel et de bouffe de dingue, pour des missions pas toujours claires. Un jour, il décide d'utiliser une photo de Woody Allen tiré d'Annie Hall pour une pub, sans demander la permission à Woody Allen. Procès. 5 millions de dollars de dommages et intérêts. C'est la plus grosse somme jamais versée pour ce genre d'affaire à New York. Et ainsi de suite... Le fond du problème, c'est que Dov se croit intouchable." Début 2010, Dov refuse de publier ses résultats et les actionnaires veulent le passer à la sécheuse. La police de Wall Street s'en mêle et menace de le radier des marchés. Mi-août, Dov publie un communiqué pas très à l'aise, deux points, ouvrez les guillemets : "La compagnie ne sait pas si elle va continuer. American Apparel pourrait ne pas disposer des liquidités suffisantes pour assurer la poursuite de son activité sur les douze prochains mois." Fini le golf et le bridge, les vacances à St Tropez, il ne rentre paaas ce soir... A la bourse, l'action rétrécit au lavage : 17 $ à ses débuts contre... 80 cents aujourd'hui. Attends, je t'en prends dix mille, j'ai la monnaie sur moi. Sans parler des services de l'immigration qui descendent à l'usine. Am App a dû renvoyer 1500 salariés en plein shia-tsu gratos. Motif : ben... ils étaient pas en règle !
"Dov a des obsessions. Je l'ai déjà vu à quatre pattes dans un magasin en train de gratter un chewing-gum par terre et montrer au staff comment faire pour l'enlever. Il est maniaque de la propreté."" Sa grande passion, c'est les air compressor, des machines qui projettent de l'air et qui enlèvent la poussière. Je l'ai déjà entendu parler d'air compressor pendant... une heure. Et juste après, il part démonter les grilles de la clim et passe son doigt pour voir si c'est clean. Il fait des fixettes. Le lendemain, il bloque sur le look des vendeuses. Le surlendemain sur les mannequins dans la vitrine." Okééé... "Il n'y a qu'une chose qui intéresse Dov : sa boîte. Le reste, il s'en fout. Il est habillé pareil d'un bout à l'autre de l'année : polo, jean et chaussures bateau. Il dort quatre heures par nuit et mange un repas par jour. Et encore, si personne ne lui apporte à manger, il oublie. Pas de chambre libre à l'hôtel ? Il dort dans sa caisse ou à l'usine. Il passe sa vie au téléphone. Donc, il demande à tous les gens qui bossent avec lui d'avoir le même téléphone que lui pour pouvoir taxer les batteries quand il est en rade. Il travaille 24 h/24 !" Bon, d'accord, mais c'est pas parce qu'on vit comme un punk à chien et qu'on se met pas des races à L'Hippopotamus qu'on coule sa boîte. "Non, mais il est obsédé par sa marque, fait tout lui-même et ne prend aucun avis extérieur. C'est lui qui choisit la plupart des filles avec qui il travaille. C'est lui qui les prend en photo pour les pubs. C'est lui qui choisit la marque et le modèle d'ampoules dans ses magasins. Quel autre patron fait ça ? Alors quand un actionnaire lui dit calmos sur les ouvertures de shops, il écoute pas, il s'en fout. Dans son jardin, il a une sculpture qui domine tout L.A. : un énorme doigt d'honneur. Ça veut tout dire."
Quoi qu'il en soit, les actionnaires d'Am App ont donné jusqu'au 31 décembre à Charney pour redresser la boîte. Sans quoi il sera dégagé et remplacé. Au pire, il paraît qu'ils cherchent des vendeurs à Vieille-du-Temple...
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