samedi 4 septembre 2010
Antifa, chasseurs de skins, par Vincent Martin (Interview publiée dans Brain-Magazine)
Quatre ans après Writers, Marc-Aurèle Vecchione, 35 ans, sort son deuxième film en DVD, Antifa, Chasseurs de Skins. Après les tagueurs, le réalisateur se penche sur les chasseurs de skins, ces bandes qui traquaient les néo-nazis dans les rues de Paris au milieu des années 80. Français de souche ou immigrés, gauchistes ou apolitiques, ils avaient tous un point commun : la haine du fascisme et une passion pour la violence.
Tolbiac Toads, Legion 88, Nazi Klan… au milieu des années 80, les skins font la loi dans les rues de Paris…
Marc-Aurèle Vecchione : En tout cas, c’est la tribu dominante à l’époque. C’est simple, si t’es punk ou gauchiste, t’évites les Halles, St Michel et les puces de Clignancourt le week-end. Pour faire simple, les bandes de fe-fas (faf en verlan, abréviation de « France aux Français », synonyme de facho, ndlr) contrôlent le 5ème, le 6ème et le 7ème arrondissement, le 13ème, le 14ème et même le 18ème. La ligne 4, avant d’être reliée à Gare du nord et Gare de l’est, est la ligne où circulent tous les ne-skis. Au total, tu trouves une dizaine de bandes de fe-fas qui se partagent Paris. Comme tu l’as dit, les Tolbiac Toads ou Légion 88, mais aussi Brutal Combat, Evil Skinner, Bunker 84. Sans parler des organisations plus politiques comme le GUD ou le PNFE. A leur tête, de près ou de loin, Batskin, un néo-nazi archi violent. Au même moment, Le Pen fait une percée, notamment aux élections européennes. On le voit à la télé dans L’heure de Vérité et les skins recrutent à mort. Tu ouvres les journaux, tu lis des agressions racistes, des descentes dans les squats ou les concerts gauchistes, des attentats contre des foyers d’immigrés… Et comme la police de l’époque regarde et laisse faire…
Une autre résistance s’organise…
Exactement ! C’est à ce moment là qu’apparaît la première bande de chasseurs vraiment organisée: les Red Warriors. Ils naissent dans un squat de Montreuil fin 85. Suivront les Ducky Boys, les Ruddy Fox, les As-Nays... des groupes qui sortent la nuit, dans les Halles ou à St Michel, et qui traquent les skins. Les gars sont reu-beus, re-nois, blancs… jeunes et très potes en dehors. Tu les reconnais à leur look : la coupe rasée sur les côtés, le bombers pour pas se faire attraper par le col, le jean retroussé, les paraboots coquées… Un look de skin en fait ! Et bien sûr les « couleurs » de chaque bande sur le blouson : symboles communistes pour les Red Warriors, drapeau américain pour les Ducky… Et puis des carrures de monstres. Les Red Warriors pratiquent tous un sport de combat, souvent à haut niveau : Kim est champion d’Europe de kung-fu, Julien est champion de France de full contact, Franck pratique aussi le kung-fu…
Jusqu’au jour où les Red Warriors passent à l’action…
Première descente, un soir à la Java, une boîte du faubourg du temple qui existe toujours. A l’époque, il y avait les soirées Acid Rendez-vous. Quelques jours plus tôt, deux Red se font embrouiller par des skins pendant une de ces soirées, « Ici, c’est chez nous… » Les Red Warriors déboulent alors à sept dans une Citroën Visa, certains sont couchés dans le coffre ! Il y a Kim, Julien, Rico… Frein à main, battes de base-ball, boom ! Les skins prennent une branlée. C’est le coup d’envoi d’une résistance anti-fasciste qui va durer plusieurs années dans les rues de Paris. Les Ducky Boys naissent ensuite avec J.F., Djamel… Ils inventent l’expression « chasseurs de skins » qu’ils taguent sur les murs de Paris et vont nettoyer les Halles.
Quand tu dis « nettoyer »…
Attention, ça cognait dur mais personne n’est jamais mort ni n’a fini paraplégique. Il y avait à l’époque une espèce de code d’honneur. Exemple, et c’est Kim qui le raconte dans le film, si un chasseur tombait sur une bande de dix skins, l’un des fe-fas disait : « Ok, je te prends en un contre un. » Si le skin se faisait mettre à l’amende et arracher ses couleurs, le chasseur repartait sans que personne ne le touche. Il n’empêche que les mecs, d’un côté ou de l’autre, se baladaient tous avec des lacrymos, des poings américains, des battes, des gants plombés, des triplex (des chaînes montées en ceinture, ndlr)… et ça cognait fort. Y’a qu’à écouter l’embrouille avec les paras qu’on raconte dans le film…
Des violences qui font le tour de la scène rock indé…
Les Berrurier Noir, groupe de rock anti-fasciste, en ont marre que des ne-skis viennent foutre la merde en concert et demandent aux Red Warriors d’assurer leur service d’ordre. Les Red répondent « ok » et plus aucun concert n’est perturbé. Même chose côté politique. Sos- Racisme vient de naître et demande aux chasseurs de coller des affiches, la nuit. Tu retrouves ensuite pas mal de chasseurs dans les manifs anti-racistes au côté du Scalp (Section Carrément Anti-Le Pen, ndlr).
Tu finis ton docu sur l’arrivée du hip-hop et du mouvement zulu en France…
On est à la fin des années 80, début 90, d’autres bandes s’organisent. Elles chassent aussi les skins mais avec un autre look : casquettes, Starter, baskets… et les chasseurs passent le relais. Le rock a disparu et le hip-hop explose. Les skins disparaissent peu à peu, laminés par les assauts des chasseurs. Les derniers se réfugient dans le kop de Boulogne au Parc des princes, c’est la fin d’une époque…
C’est difficile d’approcher des chasseurs de skins vingt ans après ?
En fait, j’étais très jeune à l’époque mais je fréquentais quelques membres des bandes. J’étais un peu une mascotte. J’en ai retrouvé certains qui ont tout de suite dit oui pour le docu. Ce sont eux qui témoignent dans le film. Ils sont toujours en contact les uns avec les autres et boivent parfois des coups. Pour le reste, j’ai épluché les archives de l’INA pour retrouver des images de l’époque. Une galère ! J’ai visionné des centaines de reportages sur les skins : TF1, France 2, France 3, pas un ne parlait des chasseurs. J’ai cherché encore et j’ai trouvé quelques perles qu’on voit dans le film.
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